Patricia Lormeau, responsable nationale, interroge notre relation au travail et son rôle édifiant dans notre identité et notre épanouissement

5.plormeau.jpg Patricia Lormeau est banquière conseil en fusions acquisitions dans une banque française et responsable nationale du MCC avec son mari Tristan depuis septembre 2015

Le travail, tout de l’existence… Patricia Lormeau analyse son rôle et le sens qu’il peut prendre dans l’accomplissement de nos vies, prenant appui sur la carrière à rebonds de la soprano Maria Callas dont la voix n’a cessé d’évoluer. Dans la période actuelle d’effervescence turbulente et créatrice provoquée par la révolution digitale, les formes de travail changent : comment comprendre la proposition de revenu universel ?

« Je travaille donc je suis » : on aurait pu attribuer ces mots à Steve Jobs, qui nous a par ailleurs légué de belles paroles. Mais La Callas… Cela signifie bien que le travail touche et construit tout un chacun, qu’il soit travailleur manuel ou cadre, artiste ou professeur… nous en avons tous quelque part besoin pour nous révéler à nous-mêmes.

Ces mots de Maria Callas à une étape de sa carrière expriment avec une certaine amertume, le désarroi d’une femme qui a tout donné pour sa voix alors que l’organe vocal est ingrat et ne suit plus le rythme exigeant des représentations. Avec l’annulation de trois représentations de Tosca en 1965, elle se sent alors comme dépossédée d’elle-même alors qu’elle ne vit vraiment que sur scène. On appellerait cela aujourd’hui un burn-out. Mais malgré sa voix abîmée, elle reprend peu à peu le travail en se consacrant à l’enseignement et aux récitals.

***Travail, dignité et construction de la personne

Le débat sur le revenu universel restant ouvert, il nous paraît important de revenir sur la place du travail dans la construction de l’être humain. Rien ne remplace la satisfaction du travail bien fait, de la contribution à une œuvre commune, du service rendu et dûment rémunéré. Il ne s’agit pas de nier les dérives du travail, travail forcé, métiers difficiles, emplois vécus avant tout comme un gagne-pain, souffrances relationnelles.
Parce qu’elle relativise la notion de travail, la proposition de revenu universel est questionnable. Bien entendu, assurer aux plus pauvres une allocation d’existence doit rester un des fondements de nos sociétés qui doivent prendre en considération chacun des citoyens. Mais la CGT par la voix de son secrétaire général Philippe Martinez a raison de souligner que « le travail est structurant dans la vie », et de poursuivre en disant qu’ « on voit bien combien les chômeurs souffrent ».

***Évolution des formes de travail et responsabilisation

Chacun est bien conscient que les formes de travail ont évolué et que cette transformation va sans doute s’accélérer. Mais on réalise aujourd’hui combien certains types d’emplois sont la clé de voûte du lien social, qu’il s’agisse de la vie dans les communautés urbaines ou de la fluidité des relations dans les entreprises. Et l’on se remet à investir de l’argent public pour revitaliser les commerces dans les centres villes désertés, à recréer des cafés citoyens ou des postes de « chief happiness officer » pour améliorer le bien-être au travail.

Les projections des « métiers de demain » montrent que, si de nouveaux métiers apparaissent dans l’économie digitale, la recherche et le conseil ou l’uber-économie, les besoins seront aussi nombreux dans les métiers traditionnels comme l’enseignement et les professions administratives et financières, mais aussi et surtout aide à domicile, personnel de santé, infirmiers etc. La forme change : lignes hiérarchiques écrasées, travail à domicile, co-working, travail en réseau, atténuation de la frontière vie professionnelle / vie privée… Ces transformations s’accompagnent d’une plus grande responsabilisation de chacun dans un contexte où les durées d’emploi seront plus courtes et où il faudra s’adapter et savoir construire son parcours en solo dans ce nouvel environnement.

***Le travail, toujours le travail

Contrainte par la perte de sa voix, La Callas s’est « reconvertie » vers d’autres activités, comme nous le dirions aujourd’hui. Elle a réappris à travailler sous d’autres formes, moins prestigieuses, plus pragmatiques, ouvertes sur les autres.

Aujourd’hui, les jeunes professionnels, contraints par l’évolution accélérée des technologies, seront sans doute confrontés à des situations similaires ; et c’est par leur travail et les compétences développées qu’ils parviendront à rebondir, à surmonter les ruptures, inévitables, de leurs parcours professionnels.

Le travail n’est pas mort ; au contraire, il reste plus que jamais constitutif de la construction de chaque personne qui saura y puiser la ressource lui permettant de contribuer à sa manière à la société à laquelle il appartient. C’est notre conviction de cadres au MCC : nos métiers, nos responsabilités professionnelles sont partie intégrante de nos vies, de notre vie de foi. Tout est lié. C’est l’essence même de notre spiritualité.

[/Patricia Lormeau/]

[(Dans Responsables, déjà !

Depuis longtemps, au MCC, nous vivons et décrivons les mutations du travail. Nombreux sont ces dernières années les articles de la revue qui témoignent de ces évolutions et lancent des pistes. Citons par exemple :

— Agnès Dargier : « Changer de travail quand il ne fait plus sens », n° 418- mars 2013, pages 12 et 13

— Gérard Tanchon : « Tenir la place de l’homme dans l’entreprise », n° 421- décembre 2013, pages 12, 13 et 14

— Aurélie Duthoit : « Devenez un manager collaboratif », n° 426- mars 2015, pages 9, 10 et 11

— Robert Migliorini : « Nous sommes allés trop loin… », n° 411- mai/juin 2011, pages 16 et 17

— Bernard Bougon : « Évolution du travail et vie spirituelle », n° 425- janvier 2015, pages 26 et 27 )]