Cette étude magistrale des patrons chrétiens, réalisée par deux sociologues du catholicisme et une historienne, permet d’en appréhender l’évolution sur un siècle. Comment se fait-il qu’un mouvement de dirigeants moribond au début des années 80 (863 cotisants en 1983) ait pu doubler ses effectifs (plus de 1553 membres en 1993) et rester en croissance jusqu’à aujourd’hui (2800 en 2017) ?


C’est ce que nous raconte Nicolas de Brémond d’Ars dans le dernier chapitre du livre. Le tournant fut progressif. Il démarre par la présidence d’André Courtaigne, dirigeant d’une entreprise familiale et formé à la théologie. Il redéfinit les deux piliers du mouvement : « la conversion personnelle du dirigeant et l’action sur les institutions. » Le premier pilier est travaillé dans les équipes par une place renouvelée de la prière et une parole libre garantie par la confidentialité : « les décisions que je prends en tant que patron sont-elles en phase avec ma foi chrétienne ? » La foi est découverte ainsi comme un soutien de l’action et du témoignage. Les conseillers spirituels, choisis directement par les équipes, deviennent des veilleurs, témoins du discernement spirituel. Le second pilier devient spectaculaire pendant la grande campagne contre la corruption : lancé par le président Vial en 1991, les 6500 manifestes signés sont présentés au Garde des Sceaux le 26 juillet 1994. Les assises nationales se transforment et institutionnalisent l’appartenance au mouvement.

En 2000, le CFPC devient « Entrepreneurs et dirigeants chrétiens » (EDC) manifestant ainsi le passage d’une vision en termes de statut (Patronat) à une vision plus fonctionnelle – comme venait de le faire le MEDEF, avec qui les EDC maintiennent des relations structurelles. En 2010, le livret « Parcours » conduit à la fois un approfondissement spirituel et la formation des présidents d’équipe et de région. En 2011, les EDC lancent la Fondation pour une économie au service de l’homme qui récompense chaque année les entrepreneurs ayant contribué à cet objectif. L’ensemble du livre, très documenté, peut aider d’autres mouvements d’Église à réfléchir.

Bertrand Hériard, aumônier national
Marie-Emmanuelle Chessel, Nicolas de Brémond d’Ars, André Grelon, L’entreprise et l’Évangile, une histoire des patrons chrétiens, Presses de Sciences Po, 2018, 330 pages, 26 €
Cf. une recension complémentaire de l’ouvrage par Bertrand Hériard