L’ivresse du travail



 1er temps

Qu’est-ce qui nous intéresse vraiment en dehors (en plus) de notre vie professionnelle ?

Par ordre d’importance ?
Pourquoi ? Avec qui partageons-nous ces intérêts ? Combien de temps chaque semaine ?

 2ème temps

L’énergie que nous développons à organiser et faire face à notre emploi du temps professionnel est-elle aussi utilisée à garder (protéger) du temps privé, familial ?

Quels sont nos trucs pour y arriver ? Qu’en pensent nos proches ? Pensons-nous le désirer vraiment ?

 3ème temps

Désirons-nous avoir des moments pour « ne rien faire » ? Une certaine expérience du vide nous est-elle nécessaire pour vivre ?

Comment ces moments sont-ils féconds, pour nos proches et pour nous-mêmes ?
Sont-ils des « sources d’eau vive » ? En avons-nous soif ?


L’ivresse du travail

Il y a quelque chose de pire que l’oisiveté pour défaire un homme : le travail. Seulement on périt dans l’estime universelle. Quelque chose de pire que l’échec, la réussite… Je vais te dire ce que ta femme, tes enfants attendent de toi : que tu existes. Tes deux lascars, tu sais, ils ont besoin de toi, pas de l’esclave qui fait tourner
la roue. La tentation du pseudo – dépassement de soi dans le labeur est subtile. D’autant plus que le surmenage attristant qui l’atteste ne va pas sans une secrète jouissance. Il sert de révélateur discret ou éclatant à la valeureuse ou souffrante image que nous nous faisons et que les autres se font de nous… « Ne pas perdre une minute », « ne pas savoir rester sans rien faire » sont des formules qui, érigées ici ou là en principes d’éducation, dénotent l’organisation contraignante qui nous dévore dans nos loisirs mêmes, et nous dépossède jusqu’au dénuement de tout désir.
La préoccupation, la dépendance, la fatigue et l’usure nous rassurent et nous justifient. Elles nous font accéder au sentiment névrotique d’exister. Nous nous en plaignons mais, qu’elles viennent à cesser, et nous tombons malades. Nous en avons besoin comme d’une drogue. Plus la vie prend de l’accélération, plus l’automatisme de nos gestes nous rend ivres, et moins nous percevons le sens de la vie dans le surcroît d’une présence qui cesse d’être efficace….

L’enfouissement dans le travail, la besogne, est peut-être le plus grand obstacle à la découverte de soi et de l’autre. Il épuise l’homme comme s’épuise le torrent dans le sable. Il cherche à colmater la faille qui, au cœur du besoin d’agir, mine l’action et
fait voler en éclats l’étroite satisfaction que nous en retirons. Il n’est pas vrai
que l’homme ne se réalise que dans l’action. L’action ne se soutient que si,
dans et au-delà de la transformation et de son objet, elle ouvre sur « autre
chose », sur une présence à soi et à l’autre, irréductible à la satisfaction de
la production. Au cœur de toute production vraie, quelque chose est
donné qui n’est pas de son ordre. Celui qui travaille vraiment éprouve toujours
l’objet de son travail comme un don. »

Denis Vasse, Extrait de
Le temps du désir (Point Essai/ Seuil)