Gilles Le Cardinal a mis au point, avec son équipe de recherche, des méthodes efficientes permettant d’accélérer et de sécuriser la coopération dans les projets complexes qui favorise la construction de la confiance : cet outil de management invitant les hommes, en entreprise ou dans la société, à coopérer pour réussir, est basé en premier lieu sur l’écoute des logiques qui animent chacun. Comment amener les différents acteurs à servir le bien commun ? Gilles Le Cardinal répond à nos questions.


7.gilleslecardinal.jpg [**Vous avez développé une méthodologie qui permet de faire participer activement et coopérer durablement différents acteurs impliqués dans un projet complexe. Comment inventer ensemble des solutions satisfaisantes pour tous ?*]

Gilles Le Cardinal

Dans la méthode baptisée Pat-Miroir© à laquelle mon équipe de recherche est parvenue en travaillant sur la construction de la confiance, nous avons intégré six règles essentielles de la coopération qui sont trop peu connues (cf. encadré). La règle 5 qui consiste à modéliser les interactions entre les différents acteurs, est souvent escamotée parce qu’on ne sait pas comment s’y prendre. On se contente souvent d’une liste de tâches à accomplir associée à un planning : c’est insuffisant car ne sont pas prises en compte les interactions, source des vraies difficultés.

La grande clé de la coopération consiste à modéliser les interactions, par les peurs, les attraits et les tentations (les PAT) que peuvent ressentir tous les acteurs d’un projet complexe. Il est très éclairant de faire ensemble l’inventaire de ces trois ressentis en rajoutant le mot « possibles » qui libère la parole en ouvrant ainsi la possibilité de se tromper comme d’être créatif. Réalisé sous forme d’ateliers de créativité par tous les acteurs, ce travail constitue un inventaire à la « Prévert » de la situation. Un classement général, établi par la moyenne des notes que chacun est appelé à donner à tous les énoncés, permet ensuite de les structurer par ordre d’importance en thèmes et sous thèmes. Le groupe de travail co-construit ainsi une représentation commune, véritable tableau de bord du projet et pose un diagnostic de la dangerosité des sous-thèmes où il y a blocage (les peurs dominent), conflit (les tentations l’emportent), ou crise (les attraits sont faibles).

[**Comment passer du diagnostic aux décisions à prendre ?*]

G. L C.

Ce passage est particulièrement facilité en procédant de la manière logique suivante :

— d’une peur, le groupe de travail va nommer le danger qu’elle signale et en déduire les précautions à prendre, ce qui va conduire au management des risques du projet ;

— d’un attrait, le groupe va préciser l’objectif à atteindre et en déduire les moyens et les stratégies à mettre en œuvre pour l’atteindre, ce qui va constituer le management des objectifs ;

— d’une tentation, le groupe va nommer la valeur qui est transgressée et en déduire les bonnes pratiques qui la respecteraient constituant ainsi le management de l’éthique relationnelle du projet.

Nous avons créé trois outils, « Diapason express », « Diapason » et « PAT-Miroir », qui mettent en œuvre ce principe en prenant en compte respectivement un, deux et jusqu’à six points de vue et produisant respectivement 12, 24, et plusieurs centaines de préconisations.

La démarche proposée, que nous appelons « la PAT-Miroir Attitude », est un puissant constructeur de la confiance des acteurs. En effet, si chacun a moins peur grâce aux précautions prises, si les tentations sont clairement identifiées et remplacées par les bonnes pratiques et enfin si l’équipe a trouvé les moyens d’atteindre tous les objectifs, les équipiers vont avoir plus confiance les uns dans les autres ainsi que dans la réussite du projet.

[**Pouvez-vous nous donner quelques exemples d’applications récentes de ces démarches ?*]

G. L C.

Parmi les 600 applications réalisées, voici quelques exemples : « Diapason express » a été utilisé pendant l’heure de vie de classe dans plusieurs lycées pour construire les règles du vivre ensemble. « Diapason », appliqué dans une dizaine d’hôpitaux, a permis de formuler des recommandations pour une annonce ajustée d’une maladie grave à un patient. « PAT-Miroir », en trois jours, a permis d’opérer la fusion de deux PME opérant la même activité dans deux régions différentes. Les peurs de licenciement et du changement de rémunération des agents commerciaux étaient palpables. La méthode a abouti à l’extension du service export et a donné lieu à une embauche.

[**Et dans le champ de la société, de la vie de la cité ?*]

G. L C.

Nous avons en effet mis en œuvre une nouvelle forme de démocratie participative sur le délicat problème de « la fin de vie à domicile ». Nous avons organisé cinq soirées citoyennes dans les principales villes de Picardie en demandant aux participants d’énoncer leurs peurs, attraits et tentations possibles, en se mettant successivement à la place du corps médical, de la famille proche et de la personne en fin de vie. Nous avons ainsi recueilli plus de 1450 PAT et 25 % des participants aux réunions ont noté les énoncés par internet, preuve de leur intérêt pour la démarche. Ces données ont été synthétisées par « l’Espace Ethique de Picardie » en une cinquantaine de propositions précises, puis transmises au ministre chargé de la Santé qui a apprécié cette contribution majeure à l’écriture de la loi. Tout projet de loi ne pourrait-il pas faire l’objet d’une telle délibération citoyenne ?

[/Gilles Le Cardinal, professeur émérite à l’UTC,
a co-développé la méthode PAT-Miroir ©.
Il a publié Construire la confiance : la PAT-Miroir attitude/]

[(Le dialogue avec les citoyens pour relégitimer l’action politique
« Cette crise du politique, n’est-elle pas avant tout une crise de la parole ? Nous savons que c’est la confiance dans la parole donnée qui permet que s’élabore une vie en société, c’est le fait que l’on privilégie des lieux – sous des formes diverses – de parole citoyenne, d‘échanges, de concertation, de médiation, etc… qui peut redonner ses lettres de crédit au politique. La parole permet aux hommes de se dire les uns aux autres ce qui a du prix pour eux. Il n’y a pas de projet durable qu’élaboré dans un rapport de dialogue. La politique est donc un lieu essentiel de l’exercice de la parole. Là où le conflit n’est pas dit, là où la vérité est transformée ou cachée, là risque d’apparaître la violence. Le débat est ce lieu privilégié où des affirmations diverses, parfois adverses, sont travaillées les unes par les autres. Des positions se transforment, deviennent conscientes d’elles-mêmes. Dès lors, tout ce qui pervertit la parole, le mensonge, la corruption, les promesses non tenues ont des conséquences très lourdes. Et nous en sommes là aujourd’hui. Entre le « ras-le-bol » de ceux qui n’y croient plus et se désintéressent de la vie publique, et ceux qui, pleins de colère, veulent renverser la table et se tourner vers les extrêmes, la marge de manœuvre est de plus en plus étroite pour relégitimer la parole publique. »

Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique, chapitre VIII, Conseil permanent de la Conférence des évêques de France, Bayard)]

[(Le compromis ou la recherche, ensemble, d’une solution
« Le problème bien sûr, c’est que le compromis, s’il est souvent un moindre mal qui permet malgré tout à l’immense majorité de vivre ensemble, est aussi perçu par les uns ou les autres, comme une solution insatisfaisante, allant trop ou pas assez loin, à mille lieux de l’affirmation d’une cause pure, et porteur de nouveaux affrontements. Le compromis, toujours suspecté de compromission, est ainsi ce qui, aux yeux de certains, contribue à dévaluer le politique. C’est mal comprendre ce que doit être véritablement le compromis, tâche indispensable et particulièrement noble du débat politique. Le vrai compromis est plus qu’un entre deux, simple résultat d’un rapport de force. C’est, à partir de positions différentes, entrer dans un vrai dialogue où on ne cherche pas à prendre le dessus mais à construire ensemble quelque chose d’autre, où personne ne se renie, mais qui conduit forcément à quelque chose de différent des positions du départ. Ce ne doit pas être une confrontation de vérités, mais une recherche ensemble, en vérité. »

Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique, chapitre VIII, Conseil permanent de la Conférence des évêques de France, Bayard)]