Q uand le travail perd son sens, on ne ressent plus que l’effort à accomplir et non pas le but
« La clé du développement puis de la généralisation du salariat, c’est la préférence des travailleurs pour la sécurité par rapport à l’autonomie. La crise du sens du travail à laquelle on assiste, est le signe que les salariés ont opté pour la sécurité contre la perte de la capacité à se donner soi-même le sens de son travail. Or aujourd’hui, ils perdent sur les deux tableaux : sécurité et autonomie. On réduit le travail au salariat, ce qui élude des espaces de production entiers : celui du travail « domestique », celui très vivace du travail associatif et de l’économie non marchande, le travail « collaboratif » et le travail du client/consommateur qui effectue lui-même une partie de la production d’un service ou d’un bien, enfin bien sûr le travail rémunéré des travailleurs non salariés… De quel désenchantement du travail parle-t-on donc ? Aujourd’hui, la consommation est considérée comme plus importante que le travail pour définir le niveau de vie. Or une société se caractérise d’abord par la façon de travailler. Le « vivre ensemble » est révélé par ce que chacun “fait” avec et pour les autres. Travailler c’est co-laborer. En soi, le travail n’est pas « souffrance » mais il représente toujours un dépassement donc un effort. Les outils servent eux-mêmes à décupler et alléger cet effort ; mais parfois l’homme est instrumentalisé par ses propres outils et il doit suivre leur rythme. Quant à l’origine du terme travail, méfions-nous de fausses étymologies (tripalium) ou des mauvaises interprétations. S’il faut travailler à la « la sueur de son front », ce n’est pas parce que le travail est maudit. Mais c’est le constat que quand le travail perd son sens, l’homme ne ressent plus que l’effort à accomplir, et non pas le but, l’utilité ou la beauté du geste. La contrainte liée au travail ne l’« humanise » plus, elle ne fait que l’asservir.
Pierre-Yves Gomez, économiste et docteur en gestion
Biographie :
- Depuis 1987 : professeur à l’EM Lyon Business School où il enseigne la stratégie et la gouvernance d’entreprise
- 1999 : professeur invité London Business School
- 2013 : publie Le travail invisible, Enquête sur une disparition, François Bourin Éditeur
- 2016 : publie Intelligence du travail, DDB Éditions