Baudoin Roger

Aumônier du secteur JP Paris, codirecteur du département de recherche « Économie & Société » du Collège des Bernardins et enseignant en morale sociale

Baudoin Roger

Aumônier du secteur JP Paris, codirecteur du département de recherche « Économie & Société » du Collège des Bernardins et enseignant en morale sociale

regard spirituel

En parcourant le livre de l’Exode

La Bible évoque à maintes reprises le travail et les manières différentes dont les auteurs en parlent permettent d’en approcher certaines caractéristiques importantes. C’est en particulier le cas du livre de l’Exode : la question du travail traverse l’ensemble du récit et le dernier tiers du livre lui est consacré. Le père Baudoin Roger, enseignant en morale sociale, montre le déploiement de la dimension spirituelle du travail dans ce texte.

 

Servitude

La première partie du texte porte sur les « labeurs »[1] (Ex 1,11 ; 2,11, 5,4.5 ; 6,6.7) qui sont imposés aux Hébreux par Pharaon. La « servitude » (Ex 1,14 ; 2,23 ; 5,9.11 ; 6,6.9) à laquelle ils sont soumis montre que le travail peut être un moyen d’oppression, d’aliénation, et même un facteur de mort : Pharaon veut réduire le nombre des Hébreux pour éviter qu’ils ne deviennent une menace (Ex 1,10). En effet, ayant migré en Égypte pour échapper à la famine, « Les Israélites furent féconds et se multiplièrent,… le pays en fut rempli » (Ex 1, 7).

Ainsi, le texte manifeste l’ambivalence du travail et la possible inversion de sa finalité : au lieu d’être ordonné à la vie et à sa croissance, il peut être mis au service de la mort.

En outre, le parallèle avec le commandement de Dieu « Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre » (Gn 1, 28) suggère que cette modalité du travail s’oppose directement à la volonté de Dieu, tout comme le refus de Pharaon de laisser les Hébreux interrompre leur « labeur » (Ex 5,5) pour aller rendre un culte à Dieu. La suite du livre de l’Exode permet de dépasser cette vision négative du travail et en développe la portée spirituelle.

Ouvrage

Dans un premier temps, à propos des fêtes qui commémoreront la libération d’Égypte, le texte revient sur la question du travail en opérant un déplacement significatif du vocabulaire. D’une part, le terme « labeur » est totalement absent de la suite du texte : on y trouve tantôt des mentions de l’« œuvre/ouvrage », comme en Ex 12,6, tantôt un terme plus large et plus neutre qu’on peut traduire par « activité ». D’autre part, en Ex 12,6, Dieu commande aux Hébreux de s’abstenir de toute « œuvre/ouvrage » le septième jour, et cette abstention est qualifiée de « servitude » sacrée. Le terme est identique à celui utilisé précédemment (Ex 1,14 ; 2,23 ; 5,9.11 ; 6,6.9), mais son usage en Ex 12,6 et dans les occurrences suivantes (Ex 12, 25.26 ; 13,5) en enrichit le sens : d’une part il mêle les acceptions de « servitude » et de « service » et, d’autre part, l’abstention de l’« œuvre/ouvrage » le septième jour ouvre le temps du « service » du culte.

Service

La suite du texte montre que ce « service/servitude » ne se limite pas à l’interdit de tout « ouvrage » le septième jour. La reprise de cet interdit dans le décalogue (Ex 20,10) est en effet précédée d’une phrase qui qualifie aussi de « service/servitude » l’activité des six jours ouvrés. Ainsi, l’activité de la semaine non seulement n’est plus évoquée comme « labeur » mais sa dimension contraignante, « servitude », se colore de celle, plus positive de « service » qui désigne aussi le culte. La dernière partie du texte (Ex 25-40) précise cette approche positive du travail.

Pendant le séjour au désert, le peuple est affranchi des contraintes du travail comme moyen de subsistance. Cependant, s’il reçoit la manne quotidienne, il n’est pas pour autant oisif, loin de là ! Les quinze derniers chapitres racontent en détail la construction de la tente de la rencontre. L’« ouvrage » correspondant est donc finalisé par le service du culte. Après avoir dépassé l’opposition entre le sabbat et les jours ouvrés, le texte explicite maintenant leur lien.

Œuvre

En effet, le texte utilise le terme neutre d’« activité » pour décrire les prescriptions données par Dieu à Moïse pour construire la tente destinée au « service ». Par contre, et de manière éminemment significative, dans la description de leur réalisation, le terme neutre d’« activité » fait place à celui d’« œuvre »[2]. De plus, elle commence par une évocation de l’Esprit de Dieu, qui est donné aux artisans (Ex 31,3 ; 35,31) pour qu’ils aient l’habilité, l’intelligence et les savoir nécessaires à la réalisation de leurs œuvres.

Ainsi, l’activité humaine est comme élevée de sorte qu’on puisse la mettre en parallèle avec la création du monde par Dieu

Comme dans le récit de la création, il s’agit d’une « œuvre » (Gn 2,2) où l’Esprit divin est à l’œuvre (Gn 1,1) ; en outre, la réalisation de la tente s’« achève » (Ex 39,32), comme la création à la fin du sixième jour (Gn 2, 1.2).

Rencontre

Partant d’une compréhension négative du travail, le texte de l’Exode nous rappelle non seulement qu’il est fondamentalement ordonné à la vie. Répondant au commandement de Dieu, il a aussi une portée spirituelle : en dépit de sa pénibilité, l’homme, comme Dieu, y accomplit une « œuvre », en contribuant au déploiement de la Création, avec l’aide de l’Esprit de Dieu. Ultimement, il permet la rencontre avec Dieu, comme dans l’Eucharistie où le pain et le vin offerts, avant d’être sanctifiés par l’Esprit, sont le « fruit du travail des hommes ».

 


[1] Au sens de travaux pénibles.

[2] Dans une forme d’inversion, entre les deux mentions de l’Esprit de Dieu, les deux seules mentions de l’« activité » s’appliquent à Dieu (Ex 32,16 ; 34,10).

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