Des cadres toujours motivés et impliqués dans leur entreprise, mais aussi de plus en plus soucieux des valeurs morales et éthiques dans leur travail. Telles sont les conclusions d’un sondage CSA réalisé pour La Croix et le Mouvement chrétien des cadres et dirigeants (MCC), après un premier sondage effectué en 2006, et publié dans La Croix le 3 novembre dernier[1].
La religion ressort relativement effacée du débat dans l’entreprise, tandis que la morale et l’éthique concernent 66 % des cadres interrogés
Alors que le monde du travail est en plein chamboulement, « nous voulions en savoir plus sur les valeurs portées par les cadres français, sur leur rôle dans l’entreprise et la société, et sur les évolutions en la matière », décryptent Patricia et Tristan Lormeau, responsables nationaux du MCC, qui a pour thème cette année « Réenchanter le travail, pour quelle société ? ».
Parmi les cadres interrogés par le CSA, 78 % se disent « motivés » ou « très motivés » au travail. Un niveau élevé, mais en baisse de 9 points par rapport à 2006, et même de 11 points sur les « très motivés ». « On retrouve ici une tendance longue, qui voit la pression s’accentuer dans les entreprises, notamment sous l’effet du numérique, au risque d’une perte de sens y compris chez les cadres », commente Christelle Fumey, chez CSA.
« Je garde le message d’un fort niveau d’engagement des cadres. Leur rôle clé comme acteur de la dynamique économique est confirmé », analyse pour sa part Tristan Lormeau. À ses yeux, « la baisse relative de leur motivation reflète plutôt leur quête de sens au travail ». Cette quête « est particulièrement forte au sein des générations nouvelles », ajoute Patricia Lormeau.
« Notre cabinet essaie d’accroître la motivation de ses équipes pour attirer et retenir les talents. Nous avons engagé un travail sur les valeurs dans tous les pays où nous sommes implantés, en organisant des réflexions collaboratives, à tous les niveaux hiérarchiques », témoigne une associée d’un cabinet de conseil international, membre du MCC. « Il y a quinze ans, on n’aurait pas parlé d’éthique, mais aujourd’hui, nous affichons nos valeurs. Nos clients aussi sont demandeurs. »
D’après le sondage, 53 % des cadres assurent que les valeurs véhiculées par leur entreprise ont constitué un critère déterminant pour la choisir, et jusqu’à 62 % chez les salariés ayant moins de deux ans d’ancienneté. Un signe que les jeunes, notamment, sont particulièrement sensibles à cet enjeu.
Pour 32 %, ces valeurs ont constitué un critère de choix, de manière secondaire. « Au travail, les cadres investissent massivement le champ des valeurs, à travers le choix de leur entreprise, des échanges relatifs à l’éthique ou encore dans leurs décisions », insiste ainsi Tristan Lormeau.
De fait, 66 % des cadres interrogés ont déjà débattu avec leur hiérarchie, ou modifié une décision pour des raisons morales ou éthiques. Une proportion en hausse de 6 points par rapport à 2006, et qui monte à 85 % chez les catholiques pratiquants.
C’est le cas de Paul (le prénom a été modifié), directeur des achats dans une multinationale et membre du MCC. « Quand nous devons arrêter une collaboration avec un fournisseur dont nous représentons une grosse part de l’activité, je veille à ce que nous le prévenions de six mois à un an avant l’échéance, même quand nous n’avons pas d’obligation légale », explique ce cadre dirigeant.
Paul reconnaît que cela suscite régulièrement des débats au sein de son équipe et avec sa hiérarchie, car « le fournisseur peut avoir des réactions dommageables pour nos affaires (baisse de la qualité du service, refus de livraison…). Pour les convaincre, souligne Paul, je mets en avant que l’éthique et la morale sont des attitudes bénéfiques à l’entreprise sur le long terme. J’obtiens souvent gain de cause. »
Si son attitude est dictée par sa foi, avec laquelle il se sent « très à l’aise », il assure « ne pas en faire état au travail. Mais je souhaite qu’elle transparaisse dans mes comportements et mon rapport à autrui. » Deux cadres croyants sur trois ne pensent pas qu’il serait possible de témoigner de leur foi au travail, d’après le sondage. Mais les catholiques pratiquants sont 53 % à penser le contraire.
Seuls 23 % ont déjà débattu de la place du religieux dans l’entreprise. Néanmoins, ce chiffre double presque chez les catholiques pratiquants (43 %), et ces derniers sont aussi plus nombreux (à 59 %, contre 34 % des cadres croyants) à estimer que la religion représente une aide dans l’exercice de leurs responsabilités.
Quant au fait religieux dans l’entreprise, il ne prend pas les proportions que pourraient laisser croire certains cas fortement médiatisés : 21 % des cadres ont déjà pris une décision managériale liée à la pratique religieuse d’un ou de plusieurs salariés de l’entreprise (organisation d’équipes, octroi de congés ou d’horaires spéciaux pour cause de fête religieuse…).
Pour Henry Destremau, consultant en management et membre du MCC, cette question est dans tous les esprits. « Parmi les cadres et dirigeants d’entreprise que j’ai rencontrés, ceux qui n’ont pas encore été confrontés à ces situations s’interrogent tous aujourd’hui sur le comportement à adopter le jour où cela se produira. »
« La présence chrétienne au travail s’exprime d’abord dans l’action, plus que par une parole identitaire qui a toutes les chances de n’être pas comprise », conclut Tristan Lormeau, qui presse de « reconsidérer la finalité de l’entreprise pour qu’elle réponde mieux aux attentes de la société ». À ses yeux, il faut « avoir l’audace de questionner les managers sur le sens des projets en cours. Car pour entraîner les autres, il faut savoir soi-même où on va. »
Marie Dancer
[1] Article publié sous le titre « La Croix et le MCC dévoilent aujourd’hui les résultats d’un sondage sur les cadres, l’éthique et la spiritualité dans le monde du travail » et reproduit avec l’aimable autorisation du journal La Croix