Dans les années 1891-92, un jeune jésuite qui n’était pas encore prêtre, Henri-Régis Pupey-Girard, faisait un stage de maître d’internat à l’Ecole Sainte-Geneviève auprès des étudiants qui préparaient les concours d’entrée dans les grandes écoles de l’époque. C’est là que naquit en lui l’idée de fonder pour les ingénieurs une association comparable à celles qui réunissaient déjà des jeunes ouvriers.
Il s’adressa à certains de ses élèves qui venaient d’être admis à l’Ecole Centrale ainsi qu’à d’autres, issus de promotions plus anciennes, et leur proposa de se réunir pour faire retraite à la Maison Manrèse de Clamart. Au terme de trois jours de prière, le projet fut soumis aux vingt-cinq retraitants : – de constituer l’embryon d’une union dite “de prière et d’apostolat” ; – et de faire de ce groupe le noyau d’un organisme social et professionnel qui s’appellerait “l’Union des Ingénieurs Catholiques” (UIC). Une charte fut élaborée et approuvée par les retraitants qui allaient devenir les premiers adhérents de l’Union.
1906 Naissance de l’USIC
Non sans tâtonnements, l’UIC va grandir et se transformer en 1906, après les lois de séparation de l’Eglise et de l’Etat, en une association qui s’appellera “l’Union Sociale des Ingénieurs Catholiques” (USIC). Elle comprendra deux types de membres : les “stagiaires”, élèves ingénieurs encore en formation, et les ingénieurs proprement dits, entrés dans la vie active. Organisation de type syndical – la forme associative jugée à l’époque la plus pratique – l’USIC n’entre pas pour autant dans la logique de la lutte des classes qui avait été la grande hantise du catholicisme social de la fin du XIXe siècle. Elle a vocation d’aider ses membres à prendre conscience de la dimension sociale de l’activité économique, d’intéresser ses adhérents à ce qu’on appelle à l’époque “la question sociale”, c’est-à-dire à tout ce qui humanise ou déshumanise l’homme dans l’entreprise. Pour correspondre à cette visée, l’USIC va proposer à ses membres des thèmes de recherche (la rationalisation de la vie économique, l’autorité dans l’industrie, le chômage…) et une méthode de travail conduisant à analyser d’abord tous les éléments des problèmes étudiés, puis à porter un jugement sur les pratiques repérées et leurs effets sur les personnes, à élaborer enfin des propositions qu’on appellera la doctrine de l’USIC, avec pour objectif, précise une note de l’époque, que “l’esprit chrétien pénètre peu à peu dans les milieux dont les membres de l’USIC ont la responsabilité”. Dans la fidélité à l’Eglise, mais sans se contenter de répéter son enseignement, l’USIC a ainsi tenu à dire une parole spécifique, à parler sous sa propre responsabilité d’association de laïcs chrétiens.
1937 Le MICIAC
A partir de 1936, de l’intérieur de l’USIC, vont commencer à se faire entendre des voix qui mettent davantage l’accent sur la prise en compte des situations vécues – une nouvelle requête qui rejoignait les perspectives de l’Action Catholique. C’est ainsi qu’en 1937 va naître dans l’orbite de l’USIC un nouveau mouvement. Il comprendra deux branches, celle des cadres et celle des dirigeants, et s’intitulera le MICIAC : Mouvement des Ingénieurs et Chefs d’Industrie l’Action Catholique. Sans récuser l’héritage de l’USIC, le MICIAC se propose des objectifs d’une certaine manière plus ambitieux : il ne s’agit pas seulement de moraliser la société économique, il faut également la rechristianiser. Aussi met-il l’accent sur la réalité quotidienne où il faut agir en chrétien, plus que sur l’élaboration d’une doctrine sur les grands problèmes sociaux. La vie en équipe devient le lieu privilégié où des hommes engagés dans le monde économique viennent s’aider mutuellement à vivre leur foi dans l’exercice de leurs responsabilités. Agissant dans leur vie professionnelle “selon l’Eprit de justice et de charité qui est l’Esprit du Christ lui-même”, les membres du MICIAC “laisseront à Dieu le soin de faire fructifier ce témoignage”. Tel est le langage que tenait le MICIAC en ses commencements. Il diffère de celui de l’USIC, mais il connaîtra lui aussi des évolutions. Au fil des années, le MICIAC parlera, en effet, de moins en moins de sa mission en terme de rechristianisation : une autre vision des choses va progressivement émerger qui saura reconnaître l’Esprit à l’œuvre, même dans ce monde où gagne l’incroyance, où la foi en Dieu n’est pas confessée. C’est ce qu’exprimera plus tard Vatican II dans Gaudium et spes : “l’Eglise sait, dit le Concile, que l’homme est sans cesse sollicité par l’Esprit de Dieu”. Ainsi, dans ce monde mêlé de bien et de mal, l’Esprit fait signe et les signes sont à scruter. Le MICIAC dans son ensemble a vraiment conçu sa mission dans cette ligne que le Concile devait mettre en pleine lumière.
1965 Un héritage pour aujourd’hui : le MCC
Lorsqu’en 1965, le Mouvement des Cadres, Ingénieurs et Dirigeants Chrétiens, le MCC, naît de la fusion de l’USIC et du MICIAC, il en recueille le double héritage – deux héritages qui se rejoignent sur de nombreux points. Trois d’entre eux gardent toute leur actualité et méritent d’être soulignés.
Se faire disciple du Christ
Quelle que soit la différence de leurs objectifs et de leurs méthodes, l’USIC et le MICIAC ont toujours témoigné que l’action des chrétiens dans le monde devait être soutenue et éclairée par une vie spirituelle forte. Le MCC ne peut ignorer cette part de l’héritage : le mouvement a vocation d’aider ses membres à progresser ensemble dans la foi : une foi toujours en devenir, qui s’affermit par le soutien fraternel, qui fait entrer dans la familiarité du Christ parce qu’il n’est pas possible de coopérer à sa mission sans aller sans cesse à sa rencontre.
Construire une société solidaire
Second point sur lequel l’USIC et le MICIAC se rejoignent : pour ces deux mouvements, une réflexion chrétienne sur les réalités économiques, même si elle part de l’analyse des situations vécues localement, ne peut s’enfermer dans ce champ restreint. L’activité de l’entreprise s’inscrit toujours dans une société qui a vocation d’assurer les régulations nécessaires pour sauvegarder le bien commun de l’ensemble. A une époque où le droit à l’initiative privée est non seulement revendiqué de façon légitime, mais parfois exalté sans nuances, il est bon de se rappeler que le jeu économique a besoin d’arbitrages qui relèvent de la responsabilité de la société politique. L’histoire dont hérite le MCC montre que les devanciers de ce mouvement n’ont jamais pensé que les impératifs de la performance devaient faire oublier les exigences d’une solidarité à promouvoir dans l’ensemble du corps social.
Vouloir une Eglise ouverte au monde
Enfin, fidèles à l’Eglise, l’USIC et le MICIAC ont toujours voulu contribuer à son ouverture sur le monde. Certains pensent que nos sociétés d’aujourd’hui sont trop désenchantées, trop perverties, pour se laisser transformer. Poussée à son extrême, cette logique de rupture ne tend à rien moins qu’à faire de l’Eglise l’instrument d’une contre-société qui donnerait la priorité à l’attestation pure et dure de son identité, face à un monde trop disqualifié pour donner à la vie le moindre commencement de sens. L’affirmation de leur foi importe à ceux qui veulent devenir disciples du Christ, mais la singularité chrétienne ne relève pas d’une définition : elle procède d’une expérience imprévisible, étonnante, diversifiée, renouvelée de générations en générations. Expérience de la présence du Christ qui vient fermer le chemin à toute volonté de réduire le christianisme à une doctrine ou à une idéologie. Expérience de la foi qui se vit dans le dépouillement des certitudes et des idées toutes faites. Pour cette raison, témoigner de la foi consistera moins à affirmer son identité qu’à laisser les autres reconnaître la source de notre agir et de nos dires. Le Christ, toujours, échappe à nos prises ; son Esprit souffle comme le vent, sans qu’on sache ni d’où il vient ni où il va. Il fait entendre sa voix dans la rumeur du monde : un monde à aimer, un monde “en travail d’enfantement”, comme le dit Saint Paul. C’est vers ce monde que l’Eglise doit sans cesse aller sans se transformer en forteresse assiégée, sans refuser le risque de la rencontre et du dialogue : elle ne sera, en vérité, l’Eglise du Seigneur que si elle sort de ses frontières, se laisse disperser pour s’exposer aux appels, aux angoisses, aux interrogations des hommes et des femmes de ce temps.