La mort de Jacques Delors n’est pas seulement une triste nouvelle pour tous ceux qui l’ont admiré au cours de ses dix ans de présidence de la Commission, entre 1985 et 1995. C’est aussi la disparition du dernier « père de l’Europe », d’une certaine idée de l’Europe.
Pour Jacques Delors, né en 1925, et qui avait vécu la guerre, puis la naissance de la CECA, de la CEE, et enfin de son œuvre, l’Union européenne, l’Europe n’était pas seulement un beau projet, une promesse de paix et de prospérité. C’était la réalisation d’un vieux rêve humaniste, né avec Victor Hugo dès le milieu du XIXe siècle, remis à l’ordre du jour par Aristide Briand après la première guerre mondiale, et enfin réalisé par Robert Schuman, Jean Monnet, Konrad Adenauer, Paul-Henri Spaak et Alcide de Gasperi. Delors a consolidé l’édifice qu’avaient commencé ces pionniers, contre l’avis des populations qui ne voyaient, comme en 1918, que la revanche à prendre. Delors, catholique fervent, avait gardé ce rêve, le rêve d’un continent réconcilié, d’un nouveau modèle de relations internationales, fondé non plus sur l’affrontement des rivalités mais sur un principe de coopération, de solidarité, et de fraternité. Delors avait vu les ravages que peuvent produire le nationalisme, la furie suprématiste, l’exacerbation des passions revanchardes.
Syndicaliste engagé dans la CFTC, Delors avait longtemps pratiqué l’art de la négociation, du compromis. Il avait parfaitement intégré ce qui fait l’essence de la démocratie européenne : la patience, l’écoute de l’autre, la prise en compte de ses arguments, le compromis. Il savait d’expérience que rien de ce qui est imposé par la force ne peut durer, que l’on n’obtient rien de pérenne dans l’affrontement, le conflit. La négociation du traité de Maastricht a pris des années. Imagine-t-on les trésors de persuasion, de diplomatie et de patience qu’il a fallu à Delors et Mitterrand pour aboutir à ce monument ? Il faut également reconnaître que Delors a bénéficié pendant sa présidence, d’une entente exceptionnelle avec un autre grand Européen: Helmut Kohl. Son grand œuvre, le traité de Maastricht reste, avec l’Acte unique, la pierre angulaire sur laquelle repose l’Union. Sans Maastricht et l’Euro, la crise de 2009-2010 aurait conduit à un désastre comparable à celui de 1929.
À la veille d’élections européennes qui risquent de voir une marée populiste et souverainiste envahir le Parlement de Strasbourg, il n’est pas inutile de rappeler cet idéal qui a été celui de Jacques Delors et de tous les acteurs de cette magnifique construction de l’Union que le monde entier nous envie.
Claude Bardot, membre du Mouvement européen et du MCC
À noter également : Parmi la floraison d’articles consacrés à cette figure de la construction européenne, lui-même ancien produit de l’action catholique, deux retiennent l’attention :
- Le témoignage de Mgr Antoine Hérouard, vice-président de la COMECE,
- et une interview de Jérôme Vignon, son directeur de cabinet à Bruxelles (et ancien responsable national du MCC).