Bernard Senelle

Dominicain, aumônier au Parlement européen

Bernard Senelle

Dominicain, aumônier au Parlement européen

analyse

L’Europe est une manière de concevoir l’homme à partir de sa dignité

Credo d'un aumônier au parlement européen

Lors du Conseil National du MCC des 25 et 26 mai 2024 et peu de temps avant les élections européennes, Bernard Senelle, dominicain, aumônier au Parlement européen depuis 2004, est venu nous rappeler les valeurs fondatrices de l’Union européenne. Il souligne surtout notre responsabilité pour une Europe protagoniste dans le monde.

En 2015, parlant à la communauté Vie Chrétienne, le pape François disait : « Faire de la politique est important, la petite comme la grande ! On peut devenir un saint en faisant de la politique. C’est même un devoir. Un catholique ne peut se contenter de regarder du balcon. » Il s’inscrit ainsi dans la lignée des papes modernes qui ont choisi de s’adresser « aux hommes et aux femmes de bonne volonté » et non plus seulement au clergé et aux fidèles de l’Église catholique. Cette tradition, inaugurée par Jean XXVIII avec Pacem in terris le 11 avril 1963, a été inscrite dans la constitution pastorale Gaudium et Spes. François, dans ses discours européens particulièrement, en appelle à la conscience de chacun pour honorer la dignité humaine, à la communion et à la justice, à la suite de Paul VI qui, en 1965, s’était écrié : « plus jamais la guerre ! ». 

La guerre est en effet aux portes de l’Europe. Le chrétien européen a-t-il un rôle à jouer dans ce contexte ? 

L’Union européenne à ses débuts et en 2004 a tracé un chemin : sortir de la guerre et de déchirements séculaires. Les pères fondateurs – Konrad Adenauer, Alcide de Gasperi, Robert Schuman et Jean Monnet – ont inventé cette nouvelle voie pour le continent. Toutefois, depuis la crise sanitaire, l’Union européenne s’est transformée. Avec la guerre russe en Ukraine, ces changements se sont accélérés, au point que le visage qu’elle présente désormais a peu à voir avec ce qu’il était il y a cinq ans encore.  

La déclaration de Robert Schumann du 9 mai 1950 était un appel au pardon mutuel. Ce que nous pouvons apporter comme chrétien au devenir de l’UE, c’est travailler paisiblement à une compréhension mutuelle d’une histoire à la fois conflictuelle et pourtant commune. L’agression contre l’Ukraine est non seulement une attaque brutale et injustifiée à l’encontre d’un pays, mais aussi une attaque à l’encontre des valeurs cardinales de l’Europe que sont la liberté, la démocratie et les droits de l’Homme. Notre expérience spirituelle de croyants peut fonder notre engagement de citoyens européens consciencieux. Mais elle ne peut le faire seule car la religion n’est qu’un élément de la cohésion. 

L’Europe est une vie, une manière de concevoir l’homme à partir de sa dignité avant que d’être un ensemble de règles à observer. Le défi de la paix est à relever dans et en dehors de l’Europe. Nous le vivons tragiquement depuis plus de deux ans.  

Les migrations constituent un autre défi. N’y-a-t-il pas une tentation pour le chrétien d’ériger sa religion comme seule source d’identité ? 

Lampedusa a été ces dernières années le symbole de la crise et de la solidarité européennes et aussi de l’espérance que l’Europe de la paix a représentée pour de nombreuses personnes écrasées par la faim et la guerre. Ceux qui fuient des conditions de vie difficiles et sans avenir nous bousculent mais ils contribuent aussi à aider et à dynamiser l’Europe 

Le pape François nous invite à retrouver l’intuition des fondateurs qui ont souhaité « un avenir fondé sur la capacité de travailler ensemble afin de dépasser les divisions, et favoriser la paix et la communion entre tous les peuples du continent. » Les religions ont leur partition à jouer dans l’instauration de ce vivre ensemble en relevant le défi de l’interculturel – de la dimension religieuse du dialogue interculturel. Nous sommes attendus sur ce terrain.  

Le dialogue implique la nécessité de sortir de sa sphère, de ne pas rester entre soi. Il y a là un message pour le monde politique dans son ensemble. François a développé au Conseil de l’Europe le défi de la transversalité : « Dans le monde politique actuel de l’Europe, le dialogue uniquement interne aux organismes (politiques, religieux, culturels) de sa propre appartenance se révèle stérile. (…) Une Europe qui dialogue seulement entre ses groupes d’appartenance fermés reste à mi-chemin; on a besoin de l’esprit de jeunesse qui accepte le défi de la transversalité. »

On peut être tenté de réduire une religion comme le christianisme à un pourvoyeur d’identité nationale, de valeurs morales ou de sens au sein d’une nation ou d’une Europe dépressive. Le christianisme n’est pas la seule source d’identité et il se conjugue avec la culture, la science et toutes les valeurs humaines.  

Comment agir face au retour des nationalismes ? 

La charge qui pèse sur l’Europe, disait le pape François à Marseille, c’est le mal qu’elle éprouve à aller vers l’autre, à se laisser toucher de l’intérieur, à se laisser préserver contre l’indifférence. L’engagement européen doit être imprégnée de confiance. À longue échéance, aucune idée, aucune institution ne peut survivre sans confiance. Le but est de construire « l’amitié sociale », la culture de la rencontre, la solidarité. 

La seule action possible pour les chrétiens dans le monde politique, c’est l’engagement personnel. Selon la pensée sociale chrétienne, ils peuvent s’engager et agir selon deux principes : celui du respect de la dignité humaine et celui de la recherche du bien commun. C’est l’engagement d’un Schuman, d’un Jacques Delors… Ce sont des engagements authentiquement chrétiens dans le sens où la politique est aussi un lieu où l’on peut faire avancer le Royaume de Dieu et faire progresser la justice. Ils sont difficiles car soumis au compromis constant entre les exigences intérieures et les réalités propres à la cité terrestre. 

Le dialogue des consciences et des libertés forge l’unité et fabrique la cohésion. C’est la responsabilité des élus chrétiens que d’être crédibles et cohérents. François souligne le lien entre les droits de l’homme et le bien commun et invite à aller au-delà d’une conception individualiste des droits de l’homme.  

L’homme est un être en relation dans un voisinage, une ville, au sein de la sensibilité d’un peuple. Le pape dénonce « l’individualisme qui rend humainement pauvre et stérile », il stigmatise les « styles de vie égoïstes et caractérisés par une opulence désordonnée insoutenable et souvent indifférente aux plus pauvres ». Ce qui est au centre de la pensée sociale chrétienne en Europe et ailleurs, c’est la personne humaine.  

 

 

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