Le 30 mars 2011, la grande salle de la rue de Varenne affichait complet pour la soirée « Solos, qui es-tu ? Un regard sur les Solos 35-50 ans ». Dans un premier temps, des solos ont restitué les résultats de l’enquête qu’ils ont menée durant l’hiver auprès d’une quinzaine de solos (célibataires sans enfants) du MCC. Dans un second temps, Ludovic Salvo, responsable national du MCC, et le père Quris, secrétaire général adjoint de la Conférence des évêques de France ont réagi à ce qui a été présenté. A suivi un débat avec la salle…
Si la plupart des participants a déclaré s’être reconnue dans ce portrait sociologique des solos, (leur place dans le travail, dans la société, l’Eglise, le MCC, auprès de leur famille et de leurs amis), plusieurs personnes ont exprimé qu’elles se sentaient, au contraire, en décalage avec ce portrait. Ludovic Salvo et le Père Quris ont eux aussi alimenté la réflexion, marquant parfois leur étonnement.
La richesse et la diversité des points de vue ont suscité le désir de cette « lettre ouverte à propos des solos », qui s’adresse à la fois aux solos, et à tous les autres. Cette lettre reprend les termes du débat qui a eu lieu le 30 mars, tout en les confrontant à l’expérience vécue des solos.
Une population «impensée» dans l’Eglise
Parmi les voix qui ont exprimé qu’elles ne se reconnaissaient pas dans ce portrait dressé des solos par eux-mêmes, l’une provenait d’une solo, assumant et vivant bien sa situation. Une autre provenait d’une mère élevant seule ses enfants. D’autres voix se sont également exprimées, témoignant peut-être d’autres situations.
En effet, pourquoi ériger la situation des solos en simple opposition au modèle du couple avec enfants ? Comment ne pas voir la pluralité des situations actuelles ? Si le modèle majoritaire reste celui du couple avec enfants, particulièrement chez les chrétiens, comment ne pas reconnaître la mosaïque de notre société où se côtoient également les familles mono-parentales, les couples sans enfants, les familles recomposées, et d’autres formes de vie ? La situation des solos est un fragment de cette mosaïque, leur réflexion peut donc s’enrichir de ces autres formes de vie qui ont émergé.
Pourtant, ce fragment de mosaïque, les solos, est particulièrement « impensé » dans l’Eglise, comme le soulignait L. Salvo. En effet, au travers de l’enquête, les solos ont largement exprimé la souffrance causée par l’indifférence, et parfois la commisération qu’ils ressentent de la part de certains clercs. Combien de fois les solos se sont-ils entendus dire : « mais avez-vous pensé à rejoindre une chorale, je connais quelqu’un qui y a rencontré l’âme sœur …» Comme si, à 40 ans passé, cette perspective n’avait pas effleuré l’esprit des solos…Comme si, par-dessus tout, une occasion supplémentaire de rencontre était la solution magique à leur situation ! Comment, face à des questions ardentes, ne pas être blessé par la pauvreté de certaines réponses ? Les solos ressentent douloureusement à quel point l’Eglise peine aujourd’hui à « répondre à leurs attentes spirituelles et à leur ouvrir des voies », comme l’a souligné le père Albert Gambart, qui a apporté son témoignage.
Pourtant, des signes apparaissent d’une prise de conscience naissante. Comme l’exprimait le père Quris, les mouvements d’Eglise peuvent être le terreau de cette réflexion. Les solos sont conscients de l’opportunité offerte par le MCC en leur proposant de les soutenir dans leurs échanges. La Conférence des Evêques de France, dans son numéro spécial sur la famille, a eu l’audace de consacrer un chapitre entier sur les solos, au même titre que d’autres sujets relevant de phénomènes de société, autrefois tabous.
Mais une réflexion en profondeur reste à engager pour éclairer le mystère de cette situation, et lui trouver un sens, pour que les solos puissent accéder à une vocation qui appartient à chacun d’entre eux.
Comment ne pas souffrir de voir que l’Eglise n’offre pas d’alternative dans ses messages et dans ses pastorales, à ceux qui ne sont ni mariés, ni engagés dans la vie religieuse ? Que dit-elle, dans les paroisses, de cette nouvelle mosaïque de la société ?
Un regard souvent condescendant
A trop vouloir identifier la famille à la Sainte Trinité, ne crée-t-elle pas, de fait, une exclusion des autres formes de vie ? Ne contribue-t-elle pas à une certaine indifférence que les solos ressentent de la part de certains couples?
Les familles elles-mêmes ne se sentent-elles pas tout auréolées par leur propre accomplissement ? Les familles n’ont-elles pas, avec le consentement de l’Eglise, au fond d’elles-mêmes une certaine condescendance pour les solos ? Comment expliquer qu’à la fin de la messe, les familles retrouvent les familles ; et les solos, réalisant que la communion eucharistique prend fin au chant de sortie, regagnent amèrement la solitude de leur appartement ?
Le solo n’est-il pas perçu comme cet éternel redoublant de classe de terminale, qui n’aurait jamais réussi à obtenir le sésame qui lui donne accès à la vie sociale : le bac, c’est-à-dire le mariage ? Le solo ne serait-il pas cet éternel enfant qui aurait vieilli sans passer à l’âge adulte ? Ce bourgeon qui aurait vieilli sans avoir éclos?
Pire, le solo, par l’échec apparent de sa vie sentimentale et donc assez largement de sa vie sociale, ne serait-il pas le faire-valoir de ceux qui auraient « réussi » ? A la vue de solos, certains couples ne puisent-ils pas une occasion de faire valoir leur réussite ? De s’attribuer le mérite de leur propre bonheur ?
Car on touche là un point-clé du regard porté sur les solos. Comme le paralytique dans l’Evangile, n’est-on pas tenté de l’accuser d’être coupable de son propre malheur ? « Si tu es dans cette situation aujourd’hui, n’est-ce pas à cause de ton péché ? Ou celui de tes parents ? »
Comme il est commode de rejeter sur eux-mêmes la culpabilité de leur situation, sans chercher à comprendre ce qui, dans le mystère des histoires individuelles, ainsi que dans le poids des évolutions de la société, l’a créée ! Comme il est commode pour les familles, de jeter un voile pudique sur les souffrances de leur enfant devenu solo, souvent à l’origine de leur situation. Comme il est commode d’enfermer le solo dans une culpabilité !
N’est-ce pas en partie sur cette culpabilisation que repose la taxation fiscale des solos ? Non seulement le solo doit assumer seul toutes ses charges, comme celle du logement, qui peut être écrasante dès lors que l’on cherche à accéder à la propriété, mais encore doit-il financer à travers ses impôts, l’éducation des enfants des autres…La taxation des solos n’est-elle pas l’impôt sur l’infortune ? Si on peut collectivement approuver la politique nataliste de la France, qui consiste à faire payer ceux qui n’ont pas d’enfants, on peut admettre, que sur un plan individuel, on la perçoive différemment, selon qu’on en bénéficie, ou selon qu’on la finance…
Pour une solidarité réciproque
Si la société en appelle à une solidarité des solos vis-à-vis des couples avec enfants, ce qui peut déjà sembler paradoxal, à quelle solidarité sont appelés les couples et les familles vis-à-vis des solos ?
Un jour, une solo m’a raconté qu’elle se promenait avec un couple d’amis, dont la jeune femme lui a proposé de tenir la poussette avec le bébé qu’elle poussait jusque-là. Dès qu’elle a eu la poussette en main, elle a senti qu’il se produisait un incroyable renversement de situation : soudain, elle a senti, dans le regard des passants, l’auréole de la mère de famille, et par association, celle de la femme mariée, son amie mariée devenant, aux yeux des passants, celle qui accompagne le couple. Piquée au vif par ce retournement apparent de situation, son amie lui a repris vivement la poussette, au bout de quelques minutes à peine. Quel est cet ami qui ne peut, le temps de quelques minutes, supporter la vie que mène tous les jours le solo depuis des décennies ? Quel est cet ami qui ne peut pas venir chez lui et s’installer à sa table, pour comprendre quelle est sa vie ? Quel est cet ami qui préfère éviter d’entendre les souffrances du solo, alors qu’il essaie simplement de dire où il en est ? Quels sont ces amis qui nous disent, après avoir parlé d’eux : « Et toi, tu vas bien, n’est-ce pas ? », induisant la seule réponse qu’ils sont prêts à entendre : ce oui convenu, ce oui qui ne dit rien, ce qui oui qui blesse l’amitié et conduit à espacer les rencontres ?
Quels sont ces amis, qui à l’aune de leur réussite sentimentale et par là, sociale, croient qu’ils n’ont rien à attendre d’un solo, si ce n’est par son rôle de parrain ou marraine. Ont-ils d’ailleurs jamais mesuré ce que représentent pour les solos l’attention, le cadeau, sans cesse renouvelés au fil des mariages, des naissances et des anniversaires, dans la conscience que sans doute jamais, la pareille ne leur sera rendue… ?
Et pourtant, combien de fois les solos n’ont-ils pas mesuré que l’intensité de leur souffrance et la singularité de leur chemin, les avaient amenés à creuser profondément le puits de leur vie intérieure, et que les couples, dans la satisfaction de leur situation, leur paraissaient parfois rester à la surface des autres et d’eux-mêmes ? Combien de fois les solos ont-ils compris que leur chemin était incommunicable auprès de ceux qui vivent dans un certain bonheur ?
Alors à vous, les couples et les familles, la délicatesse d’accueillir les solos dans ce qu’ils sont. …A vous, l’écoute de qu’ils ont à dire, même si cela vous semble éloigné de vos préoccupations…A vous, l’humilité de reconnaître la profondeur et la richesse de ceux qui doivent, tous les matins, se créer l’avenir que la vie ne leur a pas donné…
A nous, les solos, le courage de se défaire du regard des autres. Ce regard, qui ajouté à la souffrance d’une histoire personnelle, alourdit, enferme, stigmatise… A nous les solos, l’audace et la créativité d’inventer des chemins à nul autre pareils. A nous, la solidarité pour nous soutenir mutuellement… A nous la douceur d’apprendre à nous aimer, pour nous laisser aimer… A nous la joie de trouver l’amour sous des formes inattendues… A nous l’exultation d’aimer malgré tout, ce qui nous est donné… A nous la force pour défricher des chemins nouveaux…
A nous l’espérance de créer notre propre chemin d’éternité…
D.B.