Solange de Coussemaker

Sylvie de Roumefort

Comité de rédaction

reportage

À l’école de production de Sénart : la pédagogie ignatienne en pratique

Les “maîtres professionnels” de l’École de production Grand Paris Sud, à Sénart, en Seine-et-Marne, sont des professionnels qui ont quitté leur entreprise pour encadrer une équipe de jeunes afin de les former à un métier en tension. Quelques-uns nous ont raconté ce véritable challenge

Des jeunes, âgés de 15 à 18 ans, à 90 % des garçons, en décrochage scolaire, ayant quitté l’école ou arrivant de l’étranger, sont orientés par les éducateurs vers l’École de production pour apprendre un métier. Abritée par l’Institut catholique des arts et métiers (Icam, https://www.icam.fr) qui s’appuie sur la Compagnie de Jésus, elle est en fait une “école-entreprise”. Les jeunes passent 2/3 de leur temps dans l’atelier afin d’honorer des commandes d’entreprises de la région. “On aime dire qu’elle est une troisième voie entre le lycée pro où il y a encore pas mal de théorie et le Centre de Formation d’Apprentis où il y a un lien avec le patron de l’entreprise pour lequel ils ne sont pas encore mûrs. Ici, il y a unicité de lieu”, nous précise son directeur et membre de l’équipe de direction de l’Icam, Benjamin Chavroux.

Transmettre

Après une dizaine d’années d’expérience – condition sine qua non pour être embauchés – des managers ont souhaité changer de carrière. Envie de donner une deuxième chance à ces jeunes, de les accompagner, les écouter. Lui-même en décrochage scolaire à 15 ans, Vincent s’est retrouvé par hasard dans un lycée professionnel où il a obtenu un CAP, un BEP puis un Bac pro et enfin un BTS. “Une dizaine d’années dans une petite entreprise de mécanique de précision de sous-traitance m’a permis d’apprendre un métier. Puis j’ai évolué dans la qualité. Enfin, j’ai été appelé par Benjamin”.

Le projet m’a plu car l’humain est au centre. Cela nous fait plaisir de voir les jeunes se responsabiliser, s’insérer dans la société, dans une entreprise, alors qu’ils étaient mal partis. Je me retrouve dans ces jeunes.

C’est aussi le souhait de transmettre qui anime les maîtres professionnels. “J’avais très mal vécu mon BTS, à cause d’un prof qui, à mon sens, ne savait pas enseigner. Je me disais que si un jour j’étais prof, jamais je n’enseignerai comme cela”. Après 10 ans comme chef de chantier électricien dans le bâtiment, il réalise qu’il aime transmettre aux stagiaires apprentis. Déçu de l’évolution de ses responsabilités, il quitte son chantier pour l’École de production, attiré par sa manière de faire très pratique… “Je croyais qu’il s’agissait d’enseignement alors qu’on est dans le monde du travail”. Certains élèves ont des difficultés avec la théorie mais sont très doués pour la pratique. “C’est motivant de développer leurs qualités. C’est plus difficile de diriger des jeunes en apprentissage, parfois révoltés, que des adultes qui sont compétents. Je suis un peu un grand frère et aussi une figure d’autorité : une relation faite de proximité et de limites.”

En s’inspirant de la pédagogie ignatienne

L’École de production fonctionne comme une entreprise. L’objectif est d’accompagner le jeune, non pour qu’il obtienne une bonne note, mais pour que sa production soit reconnue et vendue. Si le client est satisfait, le jeune se sent valorisé ; il reprend alors confiance en lui. Les maîtres professionnels appliquent la pédagogie ignatienne à laquelle ils sont formés, mettant l’accent sur six valeurs : l’audace, la confiance, la liberté, la responsabilité, la solidarité et la réussite collective. Attention, bienveillance, exigence et relecture sont le socle de cette méthode. L’objectif est de faire émerger la vocation de chacun.

Quand on arrive, il faut s’adapter à cette méthode qu’on ne connaît pas forcément. Ces jeunes ont été malmenés, ils n’ont plus confiance dans les adultes. Lorsqu’on s’intéresse à eux, ils reprennent de l’assurance. Certains sont étonnés, habitués à ce que personne ne se soit jamais intéressé à eux (Vincent).

C’est un défi d’être à la fois managers et professeurs. Pour Vincent, “il suffit de respecter le jeune, de chercher qui il est, d’où il vient. Une fois qu’on sait cela, on essaie de l’encadrer, tout en lui demandant de sortir des pièces”. Il faut trouver le juste équilibre entre accompagnement et autorité. “On se tourne autour jusqu’à ce qu’on trouve où est le curseur. Il n’est pas question de les casser, mais de les prendre comme ils sont. Dès qu’ils comprennent pourquoi ils sont là, qui ils sont, les choses vont mieux”.

Étienne rappelle le sens de l’action des maîtres : ” Si les jeunes obtiennent leur diplôme, c’est valorisant. Le but premier est qu’ils soient de bons électriciens et arrivent à s’adapter au monde du travail”.

Pour moi, la pédagogie ignatienne, c’est un peu comme la méthode Montessori. Dans les deux cas, on développe l’autonomie et l’épanouissement (Etienne).

 

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