Jacques Gebel sj

Supérieur de la communauté de Vanves

[1] Le Récit est un texte dicté par Ignace de Loyola à Luiz Gonçalves da Câmara à partir de 1553. Il a été appelé par le passé Actes du Père Ignace, Autobiographie ou Récit du Pèlerin.
Pour une traduction française, voir Ignace de Loyola par lui-même. Texte intégral du Récit, paru aux Éditions Vie Chrétienne en 2010.

 

Jacques Gebel sj

Supérieur de la communauté de Vanves

regard spirituel

A la suite d’Ignace, sachons convertir nos déceptions professionnelles en lieux de croissance

La vie d’Ignace de Loyola, loin de la success story tant valorisée par notre société, révèle à travers le Récit [1] un chemin semé d’embûches, de projets contrariés. Le père Jacques Gebel sj montre en quoi le compagnonnage avec Jésus a donné à Ignace une sagesse et une liberté face aux échecs de ses projets les plus chers, qui feront peu à peu de lui un acteur clé du renouveau spirituel de l’Eglise catholique au XVIe siècle. Dans un monde en grande transformation, nous sommes nous aussi appelés à transformer les épreuves que nous traversons en chemins d’espérance, en nous rendant attentifs au désir de vie qui nous habite et en acceptant, parfois, de changer nos perspectives.

Noble basque et militaire plein d’avenir, Ignace défend la forteresse de Pampelune lors du siège de 1521 quand un boulet de canon lui passe entre les jambes, brise la droite et blesse la gauche. Transporté à Loyola, il subit plusieurs opérations, prêt à tout pour retrouver ses capacités de séduction. Alité pendant de longs mois et dépourvu de romans de chevalerie, le jeune homme se met à lire une vie du Christ et la vie des saints. C’est un déclic pour Ignace qui, « jusqu’à la vingt-sixième année de sa vie, […] fut un homme adonné aux vanités du monde, se délectant surtout dans l’exercice des armes, avec un grand désir de gagner de l’honneur » (Récit, 1).

Le discernement, clé de voute d’une spiritualité

Au cours de ses lectures, Ignace se rend compte que les hauts faits qu’il envisage pour une noble dame le laissent enthousiaste sur le moment, mais sec et triste dans la durée, alors qu’un projet de vie pauvre à la suite du Christ le laisse triste sur le moment, mais joyeux dans la durée. C’est un des traits essentiels de sa spiritualité qui apparaît ici et qui s’affinera dans les règles de discernement : se décider pour Dieu passe par l’examen de nos pensées et de ce qu’elles nous font éprouver intérieurement, durablement. Il s’agit d’apprendre à faire le tri entre les pensées qui laissent joyeux et paisible dans la durée (appréciation de soi, de Dieu, des autres), et celles qui laissent triste (dépréciation de soi, de Dieu, des autres), puis à exercer sa liberté pour écouter les pensées qui ont été repérées comme venant de Dieu, et refuser les pensées qui ont été repérées comme venant de celui qu’Ignace appelle « le mortel ennemi de notre nature humaine » (Exercices Spirituels, 136).

Cette attention aux mouvements intérieurs s’inscrit dans le contexte de développement des courants humanistes, diffusant la vision d’un Dieu qui ne cesse de créer, d’inventer, d’informer le temps, en coopération avec l’homme libre. L’enjeu est de progresser dans la connaissance de Dieu et de savoir comment choisir le meilleur.

Ignace décide alors de suivre le Christ pauvre et d’aller à Jérusalem, pour mettre physiquement ses pas dans ceux de Jésus…

Un chemin maintes fois détourné par des projets contrariés

C’est le début d’une longue quête spirituelle parsemée de nombreuses déceptions, d’autres “boulets”, après celui de Pampelune, en travers de son chemin :

  • Pulvérisé son désir de rester à Jérusalem en 1523 pour visiter les lieux saints et aider les âmes, par l’interdiction du pape (les Turcs enlevant souvent des chrétiens pour obtenir des rançons) : son désir d’aider les âmes ne passera plus par l’épée, mais par le savoir.
  • Pulvérisé par les soupçons de l’inquisition son désir de poursuivre ses études de théologie en Espagne, à la condition de ne pas donner les Exercices Spirituels : il décide en 1527 d’aller étudier à l’université de Paris, réputée plus ouverte.
  • Pulvérisé son désir de se rendre avec ses compagnons à Jérusalem par la guerre avec les Turcs empêchant toute navigation en Méditerranée : en 1538, Ignace et ses neuf compagnons décident de se mettre au service du pape.
  • Pulvérisé son désir d’apostolat itinérant et de plein vent, par le vote de ses compagnons qui l’élisent préposé général en 1541, le fixant à Rome dans la rédaction des Constitutions de la Compagnie de Jésus.

Trouver Dieu en toute chose

Malgré sa souffrance et son handicap, Ignace aura gardé de grands désirs et une énergie d’entreprendre. Cette force du désir sera le moteur de grandes réalisations. Avec son compagnon Jésus, Ignace apprend que Dieu peut être cherché et trouvé en toute chose, en toute situation, d’échec ou de réussite. Il y a chez lui la découverte de la transformation de l’épreuve en chance, la découverte de l’usage intelligent de l’événement.

Le tempérament d’Ignace restera, ses faiblesses aussi, ses hésitations, ses scrupules, mais il aura toujours cette foi, cette certitude intérieure en la miséricorde infinie de Dieu. C’est sans doute à Manrèse qu’Ignace fait cette expérience déterminante de la miséricorde, relatée dans le Récit : « Et alors il décida avec une grande clarté de ne plus confesser aucune des choses passées. Et alors, à partir de ce jour, il demeura libéré de ces scrupules, tenant pour certain que notre Seigneur avait voulu le délivrer par sa miséricorde » (Récit, 25).

Grâce à cette expérience sans cesse nourrie de la miséricorde, Ignace intégrera toutes les déceptions à son seul projet fondamental : croire au bel amour de Dieu révélé en Jésus-Christ et le porter avec d’autres compagnons à et dans toute la création. Ignace a appris que les lourds boulets qu’il traînait, le tirant vers le bas, pouvaient, peu à peu, devenir légers ballons qui l’entraînaient, le tirant vers le haut, balayant les ballots des soucis, des inquiétudes et des scrupules inutiles.

 

Pour aller plus loin et retrouver l’intégrale de l’analyse du père Jacques Gebel, cliquer ici.

Pour aller plus loin

[1] Le Récit est un texte dicté par Ignace de Loyola à Luiz Gonçalves da Câmara à partir de 1553. Il a été appelé par le passé Actes du Père Ignace, Autobiographie ou Récit du Pèlerin.
Pour une traduction française, voir Ignace de Loyola par lui-même. Texte intégral du Récit, paru aux Éditions Vie Chrétienne en 2010.

 

Partager sur les réseaux