Baudoin Roger
Prêtre du diocèse de Paris et aumônier des jeunes professionnels du MCC de Paris
Baudoin Roger
Prêtre du diocèse de Paris et aumônier des jeunes professionnels du MCC de Paris
regard spirituel
Nous reconnaître frères… en entreprise aussi
La fraternité n’est pas spontanément associée au monde de l’entreprise, d’ailleurs peu évoqué dans Tous frères (FT). Dans les collectifs de travail, elle peut pourtant inspirer les relations interpersonnelles et managériales. Baudoin Roger décrypte l’encyclique dans cette perspective
Tous frères ! Le pape appelle ainsi les hommes de bonne volonté à tendre vers une communion fraternelle et universelle. Sans surprise, son propos se situe plutôt à un niveau macro. Il évoque davantage les États, les cultures, les nations, les peuples, avec les violences qui les traversent, et dessine des chemins pour les dépasser. Dans cette large méditation, il est peu question de la cellule familiale et de l’entreprise, les deux communautés dont nous vivons l’appartenance de manière immédiate et quasi-quotidienne.
Néanmoins, nombre de ses réflexions peuvent s’appliquer, par analogie, à ces “communautés de personnes” que sont ces entreprises ou organisations où nous travaillons. Comme toutes nos communautés humaines, elles sont appelées à devenir des lieux où nous pouvons nous reconnaître comme frères afin d’y construire un “nous” (FT, 17) et de grandir vers la communion.
Le regard du bon Samaritain
En évoquant la parabole du bon Samaritain, le pape nous invite à élever notre regard pour voir notre prochain dans ceux qui sont socialement, géographiquement, culturellement… les plus éloignés de nous. Combien plus donc cette parabole s’applique à ceux dont nous sommes réellement proches et avec qui, a fortiori, nous interagissons concrètement: collègues, collaborateurs, clients, fournisseurs… La bienveillance que le pape nous appelle à cultiver (FT, 222) n’est-elle pas la disposition première qui devrait nous animer dans la rencontre, surtout en situation de tension ou de conflit ? La bienveillance dont le premier degré est le respect de l’autre, qui se déploie en une attention pleine de délicatesse, pour ultimement s’accomplir dans sa perfection: l’amour qui veut bien de l’autre (FT, 112).
L’écoute, la vraie écoute
Elle est aussi une condition du dialogue fécond, thème sur lequel le pape revient à plusieurs reprises. Là encore, s’il parle du dialogue social, ce n’est pas au sens des instances représentatives du personnel dont nous sommes familiers… Néanmoins, l’entreprise est aussi un lieu de pouvoir et de conflit (FT, 236) dont le dépassement suppose “le dialogue et la négociation transparente, sincère et patiente” (FT, 244). Parmi les conditions de ce dialogue fécond et salutaire, outre 1 Cf. Le témoignage de Tristan Lormeau dans “La parabole du bon manager”, Responsables n° 364, 2005. la bienveillance, le pape propose quelques conseils très directement pratiques. Il évoque l’attention à l’autre et le sourire (FT, 224), qui ouvrent l’espace du dialogue.
Et surtout l’écoute, la vraie écoute, cette disposition intérieure qui non seulement rend disponible à l’autre, mais qui suscite la parole d’autrui, fût-elle d’opposition. L’écoute suppose aussi de prendre le temps, de s’ajuster à la temporalité de l’autre, en particulier en évitant de “répondre alors qu’il n’a pas fini de parler” (FT, 48). Ce temps de l’écoute est une expression du respect pour notre interlocuteur, il est aussi une manifestation d’un parti pris de départ indispensable au dialogue authentique : “Respecter le point de vue de l’autre en acceptant la possibilité qu’il contienne quelque conviction ou intérêt légitime” (FT, 203).
Attention à la vulnérabilité
Enfin la fraternité se décline en attention au pauvre, vulnérable, fragile. Qu’il s’agisse de l’étranger, du migrant, ou simplement de celui qui sort un peu de nos catégories sociales habituelles, comment l’accueillir, lui faire place en dépassant tous les mécanismes tacites ou voulus de discrimination. Qu’il s’agisse du collaborateur qui ne donne pas ce qu’on attend de lui en raison de faiblesses passagères, récurrentes ou constitutives, comment consentir à une sous-efficience qui peut peser sur l’économie de l’entreprise et sur les autres salariés ?
Je conclurai par quelques observations plus générales. D’abord pour honorer la vocation des entrepreneurs “une vocation noble orientée à produire de la richesse et à améliorer le monde pour tous… ordonnée au développement des autres personnes et à la suppression de la misère” (FT, 123). Et, surtout, pour relayer l’appel du pape à rejeter immobilisme et défaitisme: “L’imposture du “tout va mal” a pour réponse “personne ne peut y remédier”, “que puis-je faire ?” (FT, 75)”. L’appel du Seigneur en Jn 21, c’est à nous qu’il est adressé: il nous appelle à l’unité, à la communion, une communion à l’image de celle des Personnes divines dans la Trinité (GS, 24), qui se construit certes par la grâce du Christ, mais aussi à partir de l’offrande du fruit de notre travail.