Anne-Laure Danet

Pasteure de l’Église protestante unie de France. Elle est responsable du service des relations avec les Églises chrétiennes à la Fédération protestante de France (FPF)

Anne-Laure Danet

Pasteure de l’Église protestante unie de France. Elle est responsable du service des relations avec les Églises chrétiennes à la Fédération protestante de France (FPF)

analyse

La synodalité, au cœur de la tradition protestante

Dans le protestantisme, la synodalité n’est pas un simple fonctionnement. C’est une manière d’être dans l’Église, non seulement dans la gouvernance mais aussi dans la responsabilité de chacun, chacune, comme membre du corps de Christ, témoin de l’amour de Dieu dans une interdépendance solidaire et fraternelle. La pasteure Anne-Laure Danet présente cette approche spécifique du protestantisme.

Le sujet de la synodalité est profondément œcuménique, parce qu’il concerne toutes les traditions chrétiennes, mais peut-être donnons-nous des sens différents à ce terme. Comment est-il compris dans le protestantisme ?

Un peu d’histoire

Paradoxalement ce n’est pas la question de l’Église qui a été une priorité théologique pour les réformateurs ; ils n’ont pas d’abord cherché à repenser l’Église. Si le fonctionnement presbytéro-synodal existe depuis le XVIe siècle, il a été élaboré progressivement. Cette lenteur s’explique par la définition de l’Église dans le protestantisme: “Il suffit (satis est) que l’Évangile soit prêché fidèlement (recte) et que les sacrements soient administrés conformément à leur institution”. Cela signifie, pour les réformateurs, que ce “il suffit” est un critère de plénitude au sens où l’Église est entièrement un don de Dieu, fondée sur la Parole audible dans la prédication et les sacrements. En Christ, tout est donné, il n’y a rien à ajouter. C’est pourquoi, quand l’Église a besoin de se constituer dans les réalités humaines, celles-ci sont relatives, modifiables en fonction des besoins des lieux et des temps.

Le point de départ vient de Martin Luther (1483-1546) qui affirme dès 1513 que la foi suscitée par Dieu dans le croyant le met en contact spirituel non seulement avec Dieu mais aussi avec les autres croyants, l’intégrant dans l’Église invisible dont seul Dieu connaît les membres véritables. Il affirme aussi que la méditation des Écritures est non seulement le critère de la vérité de l’expérience mais est aussi le plus puissant moyen de la créer. Dans ce sens, il s’oppose à toute institution qui déclare son organisation de droit divin et un écart est posé entre Église de Dieu et institution. Il pose un autre écart en distinguant le pouvoir temporel et le pouvoir de l’Église. C’est aux fidèles seuls d’organiser la vie de l’Église pour qu’elle accomplisse sa mission. Tout en affirmant l’Église invisible, la réflexion sur l’Église visible prend de plus en plus de place.

Jean Calvin (1509-1564) développe cet aspect dans les différentes éditions de son “Institution de la religion chrétienne”. Sa force a été d’articuler sujet croyant et communauté à la fois par une organisation encadrant ces sujets croyants et, en leur donnant des responsabilités qui leur fournissaient l’occasion et l’obligation de pratiquer l’entraide matérielle et spirituelle d’une façon ordonnée, dans l’exercice de ministères variés et conformes aux dons de chacun. C’est le système presbytéro-synodal.

La gouvernance repose sur deux principes

L’affirmation du sacerdoce universel: tous les croyants en Jésus-Christ sont égaux devant Dieu et tous sont prêtres. Chacun, de par son baptême, devient prêtre non seulement pour lui, mais pour tous les autres, dans la mesure où il a à leur faire connaître Jésus-Christ et à témoigner auprès d’eux de l’Évangile.

Par ailleurs, le principe étant que l’autorité suprême est celle des Écritures et que personne n’en possède seul la juste interprétation, les structures de gouvernement sont collégiales. La conception de
l’autorité n’y est pas à sens unique, du haut vers le bas, ou de la base presbytérale vers le synode, mais les deux organes renvoient l’un et l’autre à la seule autorité de Dieu et la gestion de ce système est l’affaire de tous.

L’autorité est donc une autorité partagée où il y a une circularité incessante parce qu’elle repose sur le principe de subsidiarité en étant au service du plus petit (chacun peut s’exprimer) et rappelle que la foi est d’abord une affaire individuelle.

Une culture du débat toujours “poly-centré”

Être en synode, c’est cheminer ensemble. Concrètement, il s’agit de travailler la culture du débat qui a la particularité en protestantisme d’être toujours “poly-centré”. On accepte qu’il y ait plusieurs options, il n’y a pas de dernier mot. La démarche dans les débats n’est pas une addition d’opinions individuelles mais le fruit d’un discernement communautaire de la volonté de Dieu. Concrètement, l’enjeu est de travailler l’écart entre deux positions pour travailler dans l’espace qu’il y a entre elles et de donner un sens aussi significatif aux accords qu’aux désaccords. À ce garde-fou de l’abus de pouvoir qu’est la collégialité, s’ajoute la liberté de conscience de chaque membre dans son vote et ensuite, pour chaque Église locale, dans l’application des décisions prises où sont valorisées la confiance mutuelle et l’obéissance mutuelle consentie

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