Editions Amsterdam, 2024
251 pages
lu
La haine des fonctionnaires
Le titre est provocateur ; le livre est un plaidoyer pour un vrai service public, militant et partisan, -le lecteur s’en rend vite compte- mais sa force et son intérêt viennent des témoignages et des faits qui en forment la base. Les trois auteurs Julie Gervais, Claire Lemercier et de Willy Pelletier s’excusent presque d’être universitaires et pas acteurs de terrain, mais ils sont su écouter et voir.
Prenant le contre-pied des qualificatifs souvent attribués aux fonctionnaires, obtus, paresseux, bornés, privilégiés, la première moitié du livre va au devant des aides-soignantes, des éboueurs, des secrétaires de mairies, des gars chargés du déneigement des routes, des gardiens de prisons et d’autres, autant de métiers souvent mal ou modestement payés. Et pourtant, malgré les difficultés, le service est assuré. Oui ! Ça coince parfois, mais il faut aussi chercher les exigences contradictoires qui amènent les agents de base à se débrouiller comme ils peuvent, en prenant parfois des risques, ou en suscitant l’agacement de l’usager.
Au passage, le livre expose de façon très documentée tous les rouages de la fonction publique au sens strict et du vaste halo qui l’entoure avec de très nombreuses structures allant de l’établissement public à l’association qui assure une mission de service public, parfois en bout de chaîne.
Après avoir regardé au bas de la hiérarchie ceux qui font le boulot, les auteurs en arrivent à un réquisitoire sur la très haute fonction publique. Oh non ! Pas ! Certains, sortis de l’ENA, croient encore aux valeurs du service public ; mais le livre est sévère sur la « noblesse d’État’ et encore plus sur la « noblesse managériale public-privé ». Certains propos des membres de ces deux noblesses crédibilisent la thèse du livre : même pavée de bonnes intentions, la transposition des standards du secteur privé aux services publics peut les déstabiliser. Et trop souvent, il paraît plus important de réformer dans l’urgence, et encore plus d’annoncer la réforme à venir, que de clarifier les objectifs et d’y faire adhérer le plus grand nombre.
Avec les passerelles de plus en plus largement ouvertes entre le secteur public et le secteur privé, c’est le socle du service public qui est ébranlé de mille façons. Le livre se veut un outil de résistance et salue tous ceux qui, de façon organisée, y contribuent.
Le lecteur pourra regretter que le livre ne dise rien de la situation des services publics dans les pays voisins et qu’il ne se demande pas comment, chez nous, on pourrait sortir des contradictions actuelles par le haut. Mais on ne peut pas demander à l’avocat de faire le travail du juge ; en l’occurrence, son plaidoyer mérite d’être écouté, d’autant plus qu’il est parfois teinté d’un humour plaisant.
Arnaud Laudenbach