Il fallait oser. Alors que le pape engage une réforme de la Curie qui pourrait confier des responsabilités à des laïcs (hommes voire couples mariés exclusivement à ce jour), deux intellectuelles catholiques lancent une charge aussi accablante qu’ajustée contre les injustices et discriminations faites aux femmes dans l’Église.
Le motif de leurs foudres ? L’institution ecclésiale, qui à travers les textes du magistère, a conféré une signification religieuse à l’infériorisation qui était celle des femmes dans les sociétés patriarcales. En valorisant par exemple la maternité, le magistère a considéré les femmes comme des êtres particulièrement « voués et dévoués aux autres » (p. 167). En « découlent des places de secondes, le refus, toujours actuel, de penser l’égalité et par conséquent de leur accorder des responsabilités » (p. 168), autres que celles pour lesquelles elles sont attendues (catéchèse, vie de la paroisse, etc.). Un pape, Jean-Paul II, avec ses nombreuses encycliques sur l’identité et la condition féminines, concentre leurs plus vives critiques : pour elles, il absolutise « en même temps la tradition, l’autorité et la vérité du magistère » (p. 191). À l’inverse, les deux auteures soulignent la modernité transgressive du Christ dans l’Évangile : Jésus a souvent tenu des discours valorisants, égalitaires même, sur les femmes (scènes de la Samaritaine, de la femme qui parfume Jésus, de Marthe et Marie, scène aussi du lavement de pieds où Jésus accomplit des tâches dévolues aux servantes, remettant en cause les rôles traditionnels, etc.).
Que recherchent-elles ? Surtout pas l’égalité ni l’imitation du comportement masculin. Tout simplement « l’égalité d’humanité entre hommes et femmes » (p. 96). Le féminisme n’est pas leur combat, elles ont des visées plus ambitieuses : « sauver l’Église » en allant « au bout de la Révélation » (p. 305). Cette rénovation de l’Église catholique ne peut passer que par une plus grande responsabilisation des femmes. Une co-gouvernance qui les ferait participer aux instances de décision et à celles d’interprétation des Écritures, accéder aussi au sacerdoce.
Ce livre écrit d’une plume offensive et incisive, parfaitement documenté, ouvre le débat. Et si les deux auteures critiquent, pêle-mêle, l’Église et la société, si elles ne donnent parfois pas dans la nuance (tout comme les textes du magistère…), si enfin, on peut ne pas partager l’entièreté de leurs argumentations, leur propos clairvoyant, conjugué à une exégèse audacieuse des textes, fait mouche et contribuera sans nul doute à faire bouger les lignes. Cher pape François, si vous décidez de solliciter des théologiennes pour une réflexion approfondie sur la place des femmes dans l’Église, ne cherchez pas, elles sont là !
Marie-Hélène Massuelle
Le Déni, Enquête sur l’Église et l’égalité des sexes
Maud Amandier et Alice Chablis, préface de Joseph Moingt, Bayard 2014, 392 p. – 18~€