Où placer notre ambition – page 89
Il ne suffit pas de répondre ici qu’il faut savoir mesurer son ambition, car une petite dose peut conserver l’ambiguïté foncière. Il existe des ambitieux Secrets, réservés, calculateurs qui, sans éclat mais avec persévérance, attendent leur heure et qui semblent d’autant mieux servis par les événements qu’ils les ont patiemment préparés.
Le désir et la convoitise
Si donc ce n’est pas une question de dosage, c’est que la différence entre le positif et le négatif touche quelque chose de fondamental. Elle rejoint la distinction biblique entre le désir et la convoitise. Le désir est appel de l’autre, tension vers plus loin.
La convoitise se fait possession, dévoration de l’autre qu’elle ramène vers elle.
En cela, la convoitise est un désir perverti, un détournement du sens de l’élan qui s’empare d’un être pour le mener à une issue funeste. Il croit diriger sa vie. En réalité, il est conduit par des appétits inavoués.
L’orientation peut sembler une ligne droite vers des sommets ; en fait, elle tourne en cercle sur elle-même, puisqu’elle retrouve en finale ce qu’elle convoitait au départ. Elle n’a rien appris ni changé. En quoi, elle ressemble étrangement à Judas. On dit qu’il a trahi le Christ, mais, semble-t-il, il fut remarquablement attaché à son ambition d’argent et de victoire politique. C’est par déception de ses objectifs qu’il aurait trahi, sans jamais avoir évolué face au Christ. Démarche circulaire qui ne sort pas d’elle-même !
Cette hypothèse concernant Judas apporte à notre problème une piste de recherche intéressante, en ce qu’elle démontre la différence entre la convoitise comme tension prisonnière d’elle-même et le désir comme ouverture à l’autre. Le mot “ambition” signifie un chemin (ire) qui va de deux côtés (ambo) = on peut jouer ses deux tableaux à la fois et se tenir ainsi bien placé pour gagner ; ou l’on peut aller d’un côté vers l’autre. Tout est une question de marche, de mouvement profond de l’être. Sans jeu de mot, on peut dire déjà que, par son statisme intérieur, l’ambitieux figé en lui-même, manque d’ambition puisqu’il ne bouge pas ! Autrement dit, le véritable problème est bien la question posée : ou l’ambition est ambition d’une place, auquel cas elle est convoitise déjà présente au départ ; ou elle consiste en une place faite à l’ambition dans un chemin de découverte et de partage. Tel est le dilemme que lève et résout le récit des trois tentations qui inaugurent la vie publique du Christ.
Le choix radical
Dès son baptême, Jésus est “forcé par l’Esprit” d’aller au désert. Cette obligation marque la nécessité d’orienter dès l’origine la vie publique du Christ vers son accomplissement. Quel désir l’habite et le meut ? Immédiatement Jésus se heurte à trois convoitises.
La première tentation consiste à changer des pierres en pain. Derrière le miracle attendu que pare la demande de piété, se cache l’ambition de manger sans rien faire, d’obtenir un pain qui ne réclame ni labours, ni semailles ni moissons. Un pain accordé à des enfants, à des malades, à des transfuges.
En clair : une assistance qui transforme l’homme en nanti irresponsable. Tout avoir sans rien faire : un rêve immature !
Et, le Christ rejette cette convoitise de la possession, en renvoyant l’homme au travail de la parole, à sa position d’interlocuteur de Dieu, ouvrier d’un dialogue jamais achevé où il trouve l’espace de son désir et l’ambition de la rencontre libre.
La deuxième tentation suggère de tout pouvoir, de se jeter du faite du Temple, et de flotter, sans dommage, dans les airs. L’absence de pesanteur enlève au corps sa réalité. Tout est imaginable puisque rien ne résiste, rien ne pèse, rien ne compte. L’ambition peut s’envoler, rien ne l’arrête. Le Christ renvoie l’homme à sa condition exacte : il n’est pas Dieu et ne peut donc tenter de se prendre pour Dieu. Il place ainsi devant le contenu illimité de la convoitise la réalité de l’Autre. L’Autre qui est celui que le désir cherche à rencontrer est aussi celui qui impose sa loi au désir : l’objectivité de cet autre contrarie les rêves de puissance.
Arrive la troisième tentation qui concerne “tous les royaumes” et leur gloire : tout cela est promis au Christ s’il adore celui qui s’en prétend propriétaire. Il ne présente d’ailleurs aucun titre de propriété, pas plus qu’il ne prouvait à Eve la qualité de sa connaissance de Dieu. Se prosterner à ses pieds, revient à se noyer dans la convoitise d’un univers de choses, univers où pourtant Adam n’avait trouvé aucune aide assortie.
S’y noyer, donc s’y perdre, chose parmi les choses. Le Christ délivre le désir de la séduction des objets comme de la gloire que les hommes se rendent à eux -mêmes, s’emprisonnant ainsi dans les apparences. Devant la liberté de l’homme, il place l’horizon infini de la liberté de Dieu. L’homme est fait pour Dieu. Ou bien l’homme recherche, enfermé dans Babel, à se faire un nom lui-même, ou bien il aspire à ce Nom que l’Autre lui donnera. Tel est le choix radical.
Dans ces trois scènes est dévoilée l’opposition de la convoitise et du désir. A la convoitise de tout avoir sans contrepartie ouvrière à laquelle s’adonner, s’oppose le désir du dialogue, de la parole partagée. Face à la convoitise de tout pouvoir sans tenir compte de la réalité, se dresse l’existence inaltérable de l’Autre. Au lieu de la convoitise illimitée de la possession, se révèle le désir de l’infini de l’Autre et le respect, le “culte” de cet Autre.
La révélation du désir
Cette page d’évangile place l’ambition devant l’obligation de déterminer sa position : ou bien elle appliquera son énergie à satisfaire les convoitises, ou bien elle servira le désir de la parole partagée, de la rencontre et de la dignité inaliénable de la liberté. « Nul ne peut servir deux maîtres ».
Nous retrouvons ici la question de savoir où placer l’ambition. La scène inaugurale de l’évangile à pris position.
Alors le Tentateur recule ; retourne à lui-même. Il se replie. Le Christ, lui, avance et déjà s’annonce le Service libérateur qu’il accomplira : déchirer, par le don de sa vie, le mur qui enferme l’homme. La convoitise se replie sur elle-même ; seul le désir s’élance vers le mystère de l’Autre.
Autrement dit, si l’ambition s’attache à servir des apparences, des «vanités», c’est-à-dire des images inconsistantes, elle réduit l’homme à la mesure de ses appétits ou à la grandeur de l’opinion des autres, la gloire. Elle rend ainsi l’homme idolâtre. Une assez juste définition de nos idoles consiste à terminer la phrase suivante : “Je ne peux plus vivre sans . . .”. On s’aperçoit alors des mobiles profonds de nos actes. A rechercher, comme raisons de vivre, l’argent, le pouvoir ou la gloire, l’homme encourt le risque de devenir ce qu’il convoite.
Être comme les idoles, c’est être vide, inconsistant. Comme Adam après son péché : il découvre qu’il est nu et il se cache de Dieu.
L’ambition conduit alors à l’insignifiance, malgré les apparences de succès. Elle reste aux apparences.
Il faut donc délivrer l’ambition et la retenir de s’aliéner dans une telle impasse. Utilisant le même mot, St Paul écrit : “Ambitionnons de plaire au Seigneur ” donnant ainsi à l’ambition un contenu éminemment positif.
Plaire au Seigneur, c’est répondre à l’appel qu’il nous a adressé dans le Christ. Pouvoir répondre est un comportement responsable : l’homme répond de soi, de “sa gestion” à celui qui le tient pour un interlocuteur reconnu. La responsabilité possède une structure de dialogue. Elle concerne des réalités données à gérer, des “talents”. Des comptes nous seront demandés. A l’inverse de la vanité qui se contente souvent des titres et des apparences, même sans contenu, l’ambition cherche du concret, du tangible. Il lui faut du résultat.
Le pouvoir de répondre
Mais ce réalisme du résultat peut encore cousiner avec la convoitise. Pour tirer l’ambition de parentés douteuses, le seul moyen est de garder cette ambition, non pas cachée, mais de la hisser au niveau de la parole, de la maintenir dans le dialogue, donc de l’obliger à parler, à se dire, à être responsable d’elle-même devant les autres. D’être capable de rendre ses comptes.
Or, la Bible connait une série étonnante de cas frappés d’irresponsabilité, d’ambitions secrètes atteintes de mutisme, d’aveuglement, de surdité.
Adam et Eve ambitionnaient de. Vivre en petits dieux. Il leur faut la nourriture immortelle. Mais de cet appétit, nul aveu. Pour Adam, la responsabilité incombe à Eve ; pour Eve, elle relève des manœuvres du serpent, lequel serpent, évidemment ne dit rien.
Arrive Caïn qui se laisse dévorer par l’envie de tuer son frère Abel. Le crime accompli, il demande s’il est encore “le gardien de son frère ?” Il “ne sait pas où il est». Réponse équivoque au plus haut point : garde-t-on un mort ? sait-on où sont les morts ? mais qui manifeste le triomphe en lui d’une volonté de puissance comparée à un lion tapi dans l’ombre. Allons d’un trait jusqu’au roi Joiaqim, fils de Josias et roi de Juda. Le prophète Jérémie avait mis par écrit tous les oracles que Dieu lui avait adressés pour faire “revenir chacun de sa voie perverse”. Loin de prendre ces paroles en considération ; le roi, à la fin de chaque passage lu, “lacérait les trois ou quatre colonnes avec un canif de scribe et les jetait dans le feu, sur le brasero, jusqu’à ce que le rouleau entier fut consumé dans le feu du brasero». C’est bien sûr une réponse qui est une fin de non- recevoir.
Voici enfin dans l’évangile de Matthieu le refus de répondre de la part des grands prêtres et des anciens du peuple. Ils demandent à Jésus de quel droit il agit comme il le fait et qui lui a donné ce droit. A ses inspecteurs, le Christ répond : “Je vais, moi aussi, vous poser une seule question, et si vous m’y répondez, je vous dirai à mon tour de quel droit je fais cela». Il leur demande alors si le baptême de Jean venait du Ciel ou des hommes. Cette alternative enferme les grands chefs : s’ils avouent que ce baptême venait du Ciel, pourquoi alors n’ont-ils pas cru le Baptiste ? s’ils prétendent qu’il venait des hommes, la foule les malmènera, car elle tient Jean pour un prophète. Ils répondent sans répondre ni s’engager : “Nous ne savons pas». Jésus leur déclare “Moi non plus, je ne vous dis pas de quel droit je fais cela». Comme ils restent silencieux sur leurs motivations, le Christ ne peut engager un dialogue.
L’ambition au risque de l’échange
Pour être authentique, l’ambition demande à accéder au statut de la parole. Entendons bien : non pas la parole de complices qui s’allient pour mieux atteindre leurs buts, mais la parole des autres, la parole de l’étranger. Ce dialogue sauve l’ambition de sa dégradation. Car, la reconnaissance avouée et partagée empêche à l’amour de soi-même, à l’image de soi, de s’imposer subrepticement aux autres.
Puisque la vie professionnelle demande de risquer son rôle social dans un métier, donc de se risquer soi-même pour des résultats, la vie tout entière demande en contrepartie de risquer sa parole, en un mot d’être responsable, capable de répondre de sa propre ligne de conduite. A ce sujet, il est, par exemple, frappant de constater le nombre de jeunes et même d’épousés qui ignorent encore ce que fait exactement leur père ou leur mari. On “parle” du travail, des soucis, c’est-à-dire qu’on “en cause”. Ce qui laisse le champ libre à l’irresponsabilité. Le chrétien est appelé à vivre en pleine lumière. S’il a une ambition, qu’il la dise puisqu’il doit en répondre.
Le fait même de confier son ambition l’oblige à sortir de soi pour tenir compte des autres. Ce réalisme la place immédiatement du côté de l’efficacité réelle, car elle participe à un monde de l’échange et de la parole donnée. Etre responsable, c’est ainsi devenir capable de rendre compte de ses orientations de vie. Et les autres sont les mieux placés pour juger de l’efficacité d’une ambition, de son utilité.
Risquer son ambition dans le dialogue, c’est non seulement l’éclairer, mais bien davantage l’introduire dans l’échange. La responsabilité introduit de ce fait dans un rapport de fraternité. Telle est la place de l’ambition.
Entrer dans l’utilité commune donne à l’ambition sa place exacte. Encore faut-il maintenant voir comment se trouve cette place.
Équilibre et décision
Une des premières solutions – à moins que ce ne soit la question ! – qui vient à l’esprit, s’attache à trouver un équilibre entre la vie professionnelle et ses obligations, la vie familiale et la présence, la vie personnelle avec ses goûts. Equilibre instable, sans cesse à retrouver, entre risquer sa carrière ou sacrifier sa famille. Chacun fait ce qu’il peut, plutôt insatisfait de lui, prêt à rejeter les toits sur les impératifs du métier.
Il est certain qu’un équilibre est par définition instable et demande de fréquentes révisions. Il y a des coups durs professionnels, des moments tendus ; il y a les jours où le conjoint demande plus de présence, où un enfant s’accommode mal de l’absence du père ou de la mère…
Mais surtout cet équilibre extérieur, celui du temps passé, du temps de présence, exige davantage : il exige un équilibre intérieur qui permet de se rendre attentif à l’autre, vraiment disponible : plus qu’à la durée passée avec lui, l’enfant est sensible à la qualité de l’intensité de la présence ; cet équilibre-là favorise aussi une concentration professionnelle, une hauteur de vue qui ne dépendent pas seulement de la gestion de l’agenda.
Autrement dit, parler d’équilibre recule le problème sans le résoudre. Car surgit aussitôt la question de savoir sur quoi se fonde cet équilibre, quel est son axe ou, pour prendre la comparaison de la balance, quel est son fléau. Cette pièce qui maintient l’équilibre, si elle défaille, désigne une catastrophe !
Pour répondre à cette question, un détour rapide par la Bible s’impose. Reprenant autrement la distinction entre la convoitise et le désir, on retrouve ici la distinction entre les “vanités” et la gloire. Les “vanités” désignent cette bulle d’air qui, montant de la vase, crève à la surface de l’eau. Elle parait être quelque chose, elle n’est en fait rien. Telle est la définition des idoles et, par suite, le sort de celui qui s’éloigne de Dieu.
Au contraire, la gloire désigne ce qui a consistance, ce qui pèse par soi même, ce qui possède la densité de l’être. Elle définit donc, au sens propre, Dieu lui-même : il est seul à la détenir, car il est Celui qui est. Le cœur de cette gloire, son contenu, nous sont révélés dans l’offrande du Christ : il donne sa vie pour que l’homme devienne vivant, il fait lever un monde nouveau. D’où la conclusion tirée par Ste Irénée : “La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant».
C’est ici le moment de se rappeler le sens de l’ambition : aller de deux côtés. Ou elle s’allie aux vanités ; c’est-à-dire aux habituelles évidences d’un monde sans Dieu et succombe alors à la convoitise ; ou elle va du côté de la gloire, donc de l’œuvre du Christ, et elle relance le désir d’agir avec lui. Là, ce n’est plus une question d’équilibre, mais de décision.
Si l’on reprend ce qui fut dit de la responsabilité, on constate que l’ambition a besoin d’être libérée. Elle a donc besoin d’accéder au plan du dialogue, car c’est l’échange qui la convertit, l’arrachant à elle-même pour l’incliner vers la gloire, vers ce qui fondamentalement compte et importe.
Ne pas rétrécir son ambition consiste donc à la livrer au dialogue, familial par exemple: Si un mari se laisse emporter, seul, par ses obligations professionnelles, sans jamais en décider avec sa femme, qu’il renonce alors à parler d’équilibre ! Or, tout pousse à ce que le plan de carrière soit enfermé dans le cadre privé de l’entreprise : ce n’est pas le fait d’établir ce plan qui soit répréhensible, qu’il soit proposé en tête à tête ou en discussion avec l’équipe des Ressources Humaines, mais c’est le fait d’isoler une orientation des autres composantes de la vie. Pour éviter la maladie, la sclérose, l’ambition a besoin d’espace, de rencontres qui l’oblige à prendre en considération la vie dans son ensemble, donc à l’ouvrir à tous les partenaires de la vie.
L’ambition de l’ambition
C’est face au Christ qu’une existence est pesée à sa véritable valeur. Or, à propos de son avènement, Jésus a cette Phrase : “En ces jours d’avant le déluge, les gens mangeaient et buvaient, prenaient femme et mari… ils ne se rendirent compte de rien jusqu’à ce que vint le déluge qu’il les emporta tous ” (Mt 24,38-39).
Fait remarquable : contrairement à la Genèse qui parle d’une terre totalement pourrie, le Christ ne mentionne que des activités ordinaires, banales, nécessaires même : manger, boire ; acheter, vendre, planter, bâtir, ajoute Luc 17,28. Mais, ces activités ont obturé le regard. De même, les invités refusent de se rendre aux noces pour des motifs similaires : j’ai acheté une terre, j’ai acheté cinq paires de bœufs, je viens de me marier (Lc 14,18-20).
L’ambition peut s’enliser dans le quotidien. Elle ne voit plus, les yeux fixés sur l’immédiat, sur l’ordinaire. L’ambitieux contemple le monde dans les bornes de son horizon. Au sens propre, il manque à l’ambition.
Une telle myopie peut s’emparer d’une communauté chrétienne. La lettre de St Jacques en donne une surprenante analyse. Voilà une communauté qui mêle “des considérations de personnes à la foi en Jésus-Christ” (2,1). Elle rétrécit sa vision à ce que chacun regarde. Résultat : les gens sont jugés d’après leurs apparences : habit magnifique ou vêtement sordide. Ce jugement introduit des classements : assieds-toi en bonne place ou reste debout, donc le pouvoir d’un groupe sur un autre. Cette discrimination oublie que “Dieu a choisi les pauvres selon le monde pour en faire des riches par la foi”. L’épître rappelle “la loi royale qu’indique l’Ecriture : Tu aimeras ton prochain comme toi-même” et conclut que faire acception des personnes est un péché qui transgresse la Loi.
Pourquoi citer ce passage de St Jacques ? parce qu’il expose clairement comment des décideurs, des gens importants, perdent insensiblement, dans les activités ordinaires, le sens de l’humain, le goût pour la dignité de l’homme. Ils ont rétréci leur ambition, ils lui ont rogné les ailes. Leur ambition n’est plus de plaire au Seigneur.
Là encore, nous retrouvons le caractère double de l’ambition. L’ambition chrétienne ne choisit pas entre la performance et la solidarité, entre le profil de carrière et la fraternité. Elle prend les deux, puisqu’elle va des deux côtés. Telle est, au fond, “l’ambition de l’ambition” : tenir ensemble la productivité et la dignité de l’homme. Elle refuse d’isoler le rêve prométhéen de construire toujours plus en s’accommodant des exclus. En ce sens, elle est plus grande que nous, puisqu’elle est l’ambition – la volonté – de Dieu sur ce monde.
Nous sommes les coopérateurs de Dieu
Ce caractère double de l’ambition évoque naturellement une autre réalité, celle du symbole. Un symbole fient ensemble deux réalités séparées mais dont chacune renvoie nécessairement à l’autre.
Il serait utile d’approfondir cette dernière idée : l’ambition est authentique à la mesure dont elle est symbolique. Je veux dire ceci : chacun de ses aspects renvoie nécessairement à l’autre. La construction du monde, les croisements des marchés commerciaux, la continuité de la recherche, tous ces efforts auxquels vous participez, ne peuvent être pensés et, finalement justifiés, que s’ils ont l’ambition de construire aussi un monde pour les hommes, une terre humanisée, des relations fraternelles. A l’inverse, aucun effort de solidarité, aucun progrès de justice, ne peuvent faire l’impasse sur la production et sur la distribution des produits. Chaque aspect est symbolique de l’autre, puisque chacun coopère au développement de tout homme et de tout l’homme.
Cette idée repose sur une réalité : elle s’appuie sur la réalité de la révélation du Christ. La foi convertit toute ambition au réel, à la gloire. Ce réel consiste, en l’homme tel que Dieu l’aimé et le veut. Un monde est à faire : “Nous sommes les coopérateurs de Dieu” (I co 3,9). C’est l’ambition que Dieu nous donne.
Mgr Albert Rouet,
extraits de Responsables n° 262 – janvier 1995