Rencontre avec Pascal Corpet, passé de Google à la création d’une start up qui conçoit des services sociaux en open source
Après 5 années chez Google, Pascal Corpet a rejoint l’aventure Bayes Impact, une start-up qui conçoit des services sociaux en s’appuyant sur le Big Data |
Il se définit comme un idéaliste pragmatique et, avec ses collègues, croit fermement que, si on l’utilise correctement, le Big Data peut contribuer à résoudre les plus grands problèmes mondiaux. Son parcours lui permet d’être aussi à l’aise dans un ministère que dans l’univers des start-up. Pascal Corpet est au cœur d’un projet qui vise à combattre le chômage par l’utilisation des nouvelles technologies et de l’analyse de données. Nous l’avons rencontré entre deux trains à Paris pour nous parler de recherche d’emploi et de management. Deux aspects du travail que beaucoup aimeraient réenchanter.
**Responsables. Pascal, peux-tu te présenter en quelques mots ?
Pascal Corpet. Ingénieur logiciel sorti de grande école il y a une dizaine d’années, j’ai d’abord travaillé quatre ans au ministère de la Défense, puis cinq ans chez Google à Zurich. Je m’étais toujours dit que jusqu’à 45 ans je travaillerais dans l’informatique puis qu’après je passerais dans le monde associatif.
Fin 2015 j’ai quitté Google pour suivre ma femme, Armelle, qui avait trouvé du travail à Lyon peu de temps avant la naissance de notre 5ème enfant. En réseautant parmi les entrepreneurs de l’économie sociale et solidaire, j’ai alors rencontré Paul Duan, et je me suis finalement dit que je pouvais marier le social et mes compétences en informatique dès maintenant !
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Qui est ce Paul Duan et qu’avez-vous imaginé ensemble ?
P. C. Paul est un jeune entrepreneur franco-chinois, qui après des débuts très prometteurs dans la Silicon Valley, a vite eu à cœur de revenir en France pour mettre ses compétences au service de causes sociétales.
Son projet en France commençait à prendre forme autour du problème du chômage. Quand je l’ai rencontré il cherchait des ingénieurs, et je l’ai alors accompagné dans sa réflexion pendant plus d’un an. Par ailleurs, à 23 ans Paul n’avait jamais managé et de mon côté je gardais, de mes dix années d’expérience, un profond goût pour le développement des équipes. Il ne nous en fallait pas plus pour nous lancer ensemble.
Je l’ai donc rejoint dans le lancement de Bayes Impact France, entreprise technologique à but non lucratif au statut d’ONG, sous le régime de la loi de 1901. Nous sommes une équipe de six entre Lyon et Paris, et nous développons Bob Emploi, plateforme indépendante, gratuite, qui permet à chaque individu de prendre en main sa recherche d’emploi. Le produit n’est pas la fin en soi. C’est bien la réduction du chômage qui l’est. C’est pour cela que notre modèle est très ouvert, que nous nous appuyons sans cesse sur le retour des chercheurs d’emploi, sur les conseillers Pôle Emploi, les associations qui accompagnent les personnes en recherche d’emploi. Notre vision est de créer un service public citoyen, pas concurrent de Pôle Emploi mais complémentaire. Nous ne révolutionnons pas la recherche d’emploi, grâce au Big Data nous en supprimons les frictions, les inefficacités, nous optimisons le système actuel avec et pour l’ensemble des acteurs.
**Parle-nous un peu du modèle managérial que vous avez mis en place ?
P. C. J’ai eu la chance de connaître deux systèmes managériaux très différents : celui du ministère de la Défense et celui de Google et de voir en quoi parier sur les personnes était gagnant.
Ce que j’ai vu chez Google je ne l’ai trouvé dans aucune entreprise française : pas d’attente sur les résultats à court terme mais une liberté et une confiance donnée au fait que chacun montrera sa valeur à moyen terme, et pour cela chacun est accompagné, formé, développé.
Chez Bayes Impact, on s’inspire de cela et on a inversé la pyramide hiérarchique. Le manager est en support, il est une personne ressource pour son équipe, qui le sollicite pour l’aider à résoudre ses problèmes. Chaque semaine chacun a un RV avec son manager pour parler non pas de la réalisation des projets, du retard technique ou des partenariats ficelés, mais bien plus de son état d’esprit, de ses relations, de son développement, de son engagement à moyen terme dans le projet… La transparence aussi est un maître mot. Par exemple, les salaires de tous sont connus et il y a peu de différences entre nous : pour les profils confirmés de Bayes Impact, nous sommes aux alentours de 60k€ ce qui est beaucoup pour une association, très peu par rapport à ce que nous avions avant, et qui n’a pas vocation à bouger. Et entre une vie plus équilibrée (personne d’autre que nous ne nous fixe d’objectif donc on fait ce qu’on a les moyens de faire), et une contribution qui a un sens sociétal certain, je suis vraiment très heureux comme cela.
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Ce modèle semble très vertueux, très fructueux. Y a-t-il malgré tout une ombre à ce tableau ? Penses-tu notamment que ce modèle puisse tenir si la structure grandit ?
P. C. J’ai eu la chance de voir un modèle d’entreprise qui marche à très grande échelle en laissant beaucoup de libertés à ses salariés, alors oui je crois à ce modèle d’entreprise bienveillant et performant, on a besoin des deux : bienveillance & performance. Je ne sais juste pas comment on passe de la toute petite structure à la très grande… Et oui, j’ai évidemment quelques frustrations aussi : on n’a pas encore l’impact qu’on voudrait, on ne va pas assez vite, on fait plein de rencontres, on a plein d’idées autour du mal logement ou de l’écologie par exemple mais pour l’instant on ne peut pas disperser nos efforts. À suivre donc !
[/Propos recueillis par Claire Degueil/]