Ce mois-ci, nous souhaitons partager avec vous le “regard spirituel” de Xavier de Bénazé sj, sur l’exhortation apostolique du pape François sur la crise climatique. Cet article est paru dans le numéro 462 de l’hiver 2024 dont le dossier est intitulé « Laudate Deum : prier et agir avec le pape François ». La revue contient des articles de fond variés pouvant enrichir vos réunions d’équipe. Pour vous abonner, c’est ici Responsables.
Laudate Deum : une prière sur le monde
Le pape François a publié le jour de la fête de Saint François d’Assise sa dernière exhortation apostolique : Laudate Deum, Louez Dieu. Elle n’est pas une « suite » de Laudato Si’, l’encyclique de 2015 qui avait intégré le concept d’écologie intégrale dans la doctrine sociale de l’Église (DSE). Elle est une exhortation, un appel vif qui puise sa force dans la profondeur de la proposition initiale de Laudato Si’, nous rappelle Xavier de Bénazé, jésuite, administrateur du Campus de la Transition et coordinateur de l’écocentre spirituel du Châtelard, près de Lyon.[1]
Si le pape prend une deuxième fois la parole sur le même sujet à peine huit ans plus tard, c’est qu’il constate que « nos réactions sont insuffisantes alors que le monde qui nous accueille s’effrite et s’approche peut-être d’un point de rupture » (Laudate Deum, 2).
Il faut prendre le temps d’entendre le souci qui habite le cœur du serviteur des serviteurs du Christ « le monde qui nous accueille s’effrite ». Le pape serait-il devenu « collapso-dépressif » ? Non, il va vite en faire la démonstration en se concentrant sur une des neuf frontières planétaires[2] parmi les six que nous « effritons », à savoir le climat, et en reprenant l’essentiel de la science disponible aujourd’hui pour justifier son analyse (chap. 1). Analyse qu’il reçoit et partage avec la quasi-unanimité des scientifiques aujourd’hui et qui ne laisse plus de doute sur l’origine humaine du déséquilibre climatique actuel : « On ne peut plus douter de l’origine humaine, – “anthropique” – du changement climatique » (Laudate Deum, 11).
Le pape ferait-il donc « seulement » de la (bonne) vulgarisation scientifique ? Ou risque-t-il de tomber rapidement dans des prises de position politiques trop humaines ? Certains ont pu faire ce type de lecture du texte. Mais c’est sans doute oublier ses racines profondes dans l’anthropologie, la cosmologie, la théologie et la spiritualité de Laudato Si’. Et c’est peut-être passer un peu vite sur le début et la fin du texte qui peuvent inviter à lire Laudate Deum comme un vrai texte spirituel chrétien et donc incarné, et donc faisant des propositions concrètes pour ce monde tel qu’il est aujourd’hui.
En effet, le texte est une invitation à la louange. « Louez Dieu » est un écho clair au titre de Laudato Si’ : « Loué sois-Tu ». Ainsi, au tout début de l’exhortation, le pape invite « toutes les personnes de bonne volonté sur la crise climatique » : « “ Louez Dieu pour toutes ses créatures ”. C’est l’invitation que saint François d’Assise a lancée par sa vie, ses cantiques, ses gestes. Il reprenait ainsi la proposition des psaumes de la Bible et reproduisait la sensibilité de Jésus à l’égard des créatures de son Père » (Laudate Deum, 1). Et au dernier paragraphe, il reprend, haut et clair : « “Louez Dieu″ est le nom de cette lettre. Parce qu’un être humain qui prétend prendre la place de Dieu devient le pire danger pour lui-même. » (Laudate Deum, 73). Le texte est ainsi encadré d’une nette tonalité de prière, au sens d’une parole qui inspirée par une relation vivante avec Dieu. Ce n’est pas « seulement » un texte de science, de politique, de diplomatie ou d’économie. C’est un texte de prière, une prière du soir en trois temps, centrale dans la spiritualité ignatienne.
Une prière d’Alliance. Laudato Si’ était sortie en 2015, en dialogue – entre autres – avec les négociations de la COP21 à Paris. Dubaï et la COP28 sont le premier bilan mondial des engagements de chaque État faisant suite à « l’Accord de Paris ». Avec Laudate Deum, le pape se place dans cette perspective de bilan, mais avec la profondeur spirituelle qui est celle de la tradition chrétienne. Il nous livre un examen de conscience à échelle mondiale.
Comme toute prière d’Alliance, il démarre donc en s’ancrant dans l’action de grâce et la louange envers Dieu. Avec tant de croyants dans le monde, les chrétiens ont en effet ce trésor de croire que la « Nature » n’est pas juste un fruit du hasard et de l’évolution, mais une Création, don d’un Créateur, et qui plus est dans les récits de la Genèse, un Créateur bon qui fait la Création bonne. De quoi louer Dieu assurément.
Mais le pape en arrive vite au deuxième temps d’une prière d’Alliance. Le « Pardon ». En effet, devant la dégradation accélérée de notre Maison commune, il nomme les racines du mal (chap. 2), les sources de faiblesses de la politique internationale (chap. 3) et propose un bilan du processus des COP climat (chap. 4). L’objectif ici est de nommer les sources de nos maux pour ensuite pouvoir engager les bons combats, y compris dans leur dimension spirituelle (voir encadré ci-dessous). Et ainsi, pouvoir demander à Dieu son aide là où cela est le plus nécessaire, ce qui viendra dans le troisième temps de la prière d’Alliance
Or, le pape sait, en dialogue avec les sciences humaines et climatiques, qu’« il faut être sincère et reconnaître que les solutions les plus efficaces ne viendront pas seulement d’efforts individuels, mais avant tout des grandes décisions de politique nationale et internationale. » (Laudate Deum, 69). La faiblesse de la politique internationale est donc un obstacle majeur à lever pour espérer sortir de la crise.
Vient alors le troisième temps de la prière d’Alliance. Le « S’il-Te-plaît ». C’est ici, comme dans la dénonciation claire des maux, que le pape peut paraître très (trop pour certains) politique. Mais il est, de fait, chrétien et incarné. Il demande à Dieu d’accompagner ses enfants là où ils ont tant de mal à agir à la hauteur des enjeux : dans leurs accords internationaux.
Alors que la COP28 s’est achevée sur un bilan mitigé, il est difficile de dire dans quelle mesure la demande du pape aura été entendue par les décideurs. Profitons-en pour souligner deux liens directs entre Laudate Deum et nous. Tout d’abord, la démarche du pape de « prière sur le monde » peut nous inspirer à notre tour. Osons-nous réellement jouer notre rôle de chrétiens et de chrétiennes de porter le monde vers Dieu ? Si tout cela nous semble bien lointain, relisons Laudate Deum et entendons cette interrogation que le pape adresse aux puissants et aux privilégiés du système actuel (et nous le sommes tous plus ou moins en tant qu’occidentaux et en tant que cadres) : « face au visage des enfants qui paieront les dégâts de leurs actions, la question du sens se pose : quel est le sens de ma vie, quel est le sens de mon passage sur cette terre, quel est le sens, en définitive, de mon travail et de mes efforts ? » (Laudate Deum, 33). Peut-être est-ce là une belle invitation à un examen de conscience personnel honnête et profond ?
XAVIER DE BÉNAZÉ, sj
[1] Xavier de Bénazé a récemment écrit avec Cécile Renouard : Rouvrir l’horizon, manifeste d’espérance engagée face aux effondrements (voir la recension de Bertrand Hériard).
[2] Concept défini en 2009 par une équipe internationale de chercheurs menés par Johan Rockström au Stockholm Resilience Centre.