A l’occasion des cinquante ans de sa création, le CCFD-Terre Solidaire a invité en France une cinquantaine de partenaires. Parmi eux, la Commission épiscopale pour les ressources naturelles (CERN) de la République Démocratique du Congo (Congo Kinshasa). Et son envoyé spécial à Paris, secrétaire adjoint de cette commission, Coco Mbangu, juriste économiste, dont c’est le premier voyage en Europe. Il a pris le temps de répondre à nos questions.
Quelle est votre réaction en arrivant à Paris ?
Je suis révolté. Révolté par le niveau de développement et je me demande ce que nous faisons, nous Congolais, en dépit de toutes les ressources naturelles et de l’immense main d’œuvre dont dispose notre pays. Car nous sommes parmi les pays les plus pauvres du monde. C’est insupportable.
Pourquoi une commission pour les ressources naturelles au sein de la Conférence Episcopale Nationale du Congo ?
Préoccupés par la souffrance qu’endurent les populations de notre pays, nos Evêques ont constaté qu’« au lieu de contribuer au développement de notre pays et profiter à notre peuple, les minerais, le pétrole et la forêt sont devenus des causes de notre malheur. Comment comprendre que nos concitoyens se retrouvent, sans contrepartie ni dédommagements, dépouillés de leurs terres, par le fait des superficies concédées ou vendues à tel ou tel exploitant minier ou forestier ? » Cette question a conduit les Evêques à mener des enquêtes à travers ces organes centraux notamment la Commission Episcopale Justice et Paix et la Commission Episcopale Caritas développement en 2005, 2007 et 2008.
Ces enquêtes ont montré que l’homme n’était pas pris en compte dans l’exploitation des ressources naturelles et qu’il n’est pas non plus impliqué dans ce débat, ce qui explique les violations des droits du fait de cette exploitation. Voilà pourquoi la Conférence Episcopale a créé un organe technique chargé de suivre ces questions sensibles qui continuent à endeuiller nos populations. C’est ce qui pousse certains à parler de la «~malédiction~» des ressources naturelles.
Que faisiez-vous avant de travailler à la CERN ?
J’étais chargé de programme dans un projet coordonné par la «~Chaîne de solidarité agissante~», une plate forme qui, dans le temps, avait permis aux confessions religieuses de mener des actions communes en vue de barrer la route aux idées de balkanisation de la RD Congo.
La Commission est jeune: elle n’a que deux ans. Son réseau est en train de s’implanter à travers les 47 diocèses que compte la RD Congo regroupés en 6 provinces ecclésiastiques. Dans chacune, des ressources naturelles sont exploitées. Le plaidoyer fait aussi partie de nos activités. Les Evêques de la CENCO développent cette activité auprès du Senat américain pour l’adoption de certaines lois sur les ressources naturelles (loi Dodd FranK). Nous organisons aussi des activités de formation et de sensibilisation de nos populations sur la gestion responsable des ressources naturelles.
Des sociétés françaises exploitent des ressources naturelles en RD Congo. Pensez-vous qu’elles respectent les droits des communautés locales ?
Dans la province ecclésiastique de Kinshasa il y a PERENCO qui exploite du pétrole à Moanda. La République Démocratique du Congo a besoin des investisseurs mais il nous faut des bons investisseurs. A Moanda, il y a eu des arrestations lorsque ces populations protestaient pacifiquement contre la pollution de l’environnement, des terres, des rivières et contre l’enfouissement des déchets toxiques à proximité de leurs villages par PERENCO-REP. L’autorité locale, à savoir l’Administrateur du Territoire de Moanda, était informé de la tenue de cette manifestation pacifique le lundi 14 décembre 2009. Malgré tout ces villageois ont été arrêtés.
A cette époque personne n’avait reconnu cette pollution mais aujourd’hui même les autorités locales la reconnaissent. La difficulté dans cette entreprise réside dans la faible capacité de la société civile et de l’Etat congolais de disposer d’équipements pour faire une contre expertise de l’étude d’impact environnemental que la société est obligée de présenter avant de commencer l’exploitation. L’Etat se contente des études faites par la société.
Pouvez-vous parler de la corruption des autorités ?
La réponse à cette question nécessite des preuves matérielles de leur implication, ce qui est difficile à fournir. Néanmoins nous pouvons répondre avec les Evêques de la CENCO dans la lettre adressée aux acteurs politiques catholiques à l’occasion du jubilé d’or de l’indépendance de notre pays : «~quand les justes se multiplient, le peuple est en liesse ; quand les méchants dominent, le peuple gémit ( Ps 29,2)… La multiplicité des privilèges et des exceptions donne facilement à penser à un état sans loi quand ce n’est pas carrément à l’inexistence de l’Etat~». Je pense avoir répondu à votre préoccupation
Comment cela se passe-t-il avec les entreprises chinoises qui arrivent très nombreuses depuis plusieurs années?
J’aimerais répondre en deux temps. Le premier temps comme un observateur simple comparant les anciens partenaires de la RD Congo et les nouveaux partenaires chinois. Les contrats chinois semblent favorables au Congo dans la mesure où l’observateur voit des résultats concrets. Les Chinois négocient des quantités de cuivre contre la réalisation d’infrastructures énormes : routes hyper larges, électricité, réhabilitation des hôpitaux…Tout cela en 2 ans. C’est une chose que nos anciens partenaires n’avaient pas faite, eux qui ont surchargé les dettes à payer depuis plusieurs années, dette qui n’a jamais été évaluée et dont l’argent est resté ici au Nord…
Dans un deuxième temps nous devons faire très attention à ce partenariat. Car notre pays est un pays des grands enjeux internationaux. Nous avons des matières premières qui touchent à la securité internationale, ce qui peut nous attirer de gros ennuis. Le plus grand problème se pose au niveau de la Responsabilité sociale des entreprises. Il y a aussi la pollution, les conditions de sécurité des travailleurs… Dans un documentaire «~Du sang dans nos portables~»|voir le reportage (diffusé sur Canal+) des prêtres témoignent des problèmes que pose l’exploitation du coltan, minerai utilisé pour la fabrication des micro-ordinateurs et des téléphones portables. L’exploitation de ces minerais a affecté la RD Congo car des femmes et des enfants y travaillent pour trouver les moyens de vivre. Je vous recommande de chercher encore «~Katanga Mining~» et «~Katanga Business~», vous comprendrez le poids des grandes puissances sur l’exploitation des ressources naturelles de notre pays.
Que pensez-vous des lois de votre pays?
La plupart des lois sont injustes et ne protègent pas les populations. Si aujourd’hui nous inversons les rôles et que ceux qui élaborent ces lois redeviennent les populations riveraines des lieux d’exploitation, que seront leurs réactions ? S’il s’avère, par exemple, qu’il y a des ressources naturelles dans votre village, l’état vous délocalise. Il vous rembourse alors la valeur de votre case + la moitié. S’il évalue votre case à 20 euros il vous rembourse 20+10 euros, soit 30 euros. Entre temps vous perdez espaces, lacs, terre, forêt sur lesquels vous trouviez les moyens de vivre… Nous devons trouver des moyens pour avoir des lois concernant les terres, les forêts, les rivières, mais aussi le développement et l’épanouissement des communautés locales.
En quoi le CCFD-Terre solidaire vous aide-t-il ?
Il nous appuie pour la mise en place de deux observatoires des ressources naturelles à Goma et Bukavu. Ils récolteront des données liées à la violation des droits humains, à la destruction de l’environnement et à l’implication des groupes armés dans l’exploitation des ressources naturelles de cette région. Nous profitons de cet anniversaire pour remercier le CCFD-Terre solidaire de rapprocher la réalité de terrain de ses partenaires des Français qui peuvent comprendre l’importance d’avoir un monde solidaire. Et pour terminer, je pose une double question à tous ceux qui liront ces lignes: à qui sont destinés les biens de la terre? Qui a le droit de les partager ?
Merci
Propos recueillis par A-M de Besombes
Membre du comité de rédaction