Cette « Histoire des traditionalistes » éclaire l’actualité de l’Église où les alternances de tensions et d’ouvertures s’entremêlent dans les relations entre le Vatican et les milieux traditionalistes. Yves Chiron est historien ; le lecteur sent une sympathie de cœur de l’auteur avec les traditionalistes. Mais son métier d’historien domine et il donne une vue sans parti pris de 70 ans d’histoire des transformations de l’Église autour de Vatican II et de ce qui a suivi.
Le livre est extrêmement documenté, presque une thèse. Cela n’aurait pas de sens de chercher à résumer ici toutes les étapes, tous les méandres de cette histoire. Trois niveaux de conflit entre les représentants des traditionalistes et le Magistère, tant à Rome qu’en France, apparaissent au fil des pages.
Le plus visible est celui sur le nouveau rituel de la messe, coexistant avec le rituel de saint Pie V admis ou toléré sous certaines conditions. C’est un peu l’écume de la tempête, mais aussi ce qui a mobilisé le plus de fidèles dans le refus des prescriptions du Vatican. Clairement des expériences aventureuses de certaines paroisses ont pu justifier les critiques acerbes des traditionalistes, mettant en doute la validité de certaines célébrations dans les 20 ou 30 ans qui ont suivi le concile. Mais, le lecteur reste un peu sur sa faim car l’auteur ne rappelle pas de façon structurée les critiques de nature théologique faites par les traditionalistes au nouveau rituel romain, lorsqu’il est parfaitement mis en œuvre.
À un deuxième niveau plus essentiel, le lecteur comprend que les critiques des traditionalistes portent sur des textes importants du concile, notamment sur la liberté religieuse et sur l’œcuménisme. C’est la relation de l’Église au monde qui est en cause, pas simplement au plan pastoral, mais aussi comme vision de la destinée humaine et du projet divin.
Chiron fait aussi allusion à un troisième niveau de conflit, de nature sociale et politique, où les traditionalistes au sens de la liturgie et de la théologie, sont, pour nombre d’entre eux, sur les franges les plus conservatrices de l’échiquier politique, dont les bases remontent à un refus de la Révolution française.
Dans le livre, ces trois niveaux sont entremêlés. De sa lecture, je suis ressorti avec l’impression d’un grand gâchis, où les responsabilités ne sont pas d’un seul côté. Et cette confusion des trois niveaux, qu’on retrouve dans de nombreux commentaires, a contribué à rigidifier les positions, en les caricaturant.
Même si ce n’est pas son objet, le livre peut inciter le lecteur à réfléchir à la façon dont il contribue à une Église qui sait vivre des tensions internes, tout en restant unie sur le cœur de la foi.
Arnaud Laudenbach
Histoire des traditionalistes / Yves Chiron / Tallandier / 2022 / 632 pages / 26,90 €