Nous avons tous l’occasion de parler du système scolaire, quelquefois avec passion car cela nous touche de près par un enfant, un petit-enfant. Le livre de François Dubet et Marie Duru-Bellat nous permet de prendre de la hauteur, en regardant le plus objectivement possible comment il a évolué depuis 60 ans, quelles avancées il a permis, quels sont ses effets pervers. Les deux auteurs, sociologues, ont particulièrement travaillé, durant leurs longues carrières, sur l’enseignement et la jeunesse.
Pour porter une appréciation sur la situation actuelle, le livre rappelle les ambitions dont l’école a été porteuse depuis qu’elle est devenue obligatoire, avec l’évolution majeure introduite par la massification démarrée dans les années 60 pour toucher progressivement les études supérieures. Il s’agissait d’élever le niveau de connaissance pour tous, avec la conviction que cela conduirait à réduire les inégalités, à répondre aux besoins de l’économie, à accompagner un progrès d’ensemble. Ces objectifs du système éducatif ont été vécus par les familles et leurs enfants comme une promesse.
À travers un vaste panorama comportant des comparaisons fréquentes avec d’autres pays, les auteurs soulignent que c’est l’égalité des chances qui est devenue le fil directeur principal. Mais ce faisant, puisque le système doit, in fine, sélectionner les « meilleurs », l’égalité des chances se fait dès le plus jeune âge par des sélections très nombreuses, explicites ou insidieuses. À chaque étape, les perdants accumulent un sentiment de déclassement par rapport à ceux qui, par leur environnement autant que par leurs mérites, sortent « vainqueurs ».
Les auteurs reconnaissent que l’égalité des chances a globalement progressé. Mais en regardant trop exclusivement cet objectif, on ne regarde pas assez le résultat de cette course pour les perdants du système, et tout cela pour aboutir à des diplômes, survalorisés en France et souvent pas vraiment en phase avec les attentes du monde économique.
Les deux auteurs sont trop soucieux d’objectivité pour avancer des solutions miracles aux contradictions du système. Mais les dernières parties de l’ouvrage ouvrent des pistes de réflexion sur l’école et la confiance, sur les dégâts de la méritocratie, sur l’apprentissage et le partage de la citoyenneté.
Arnaud Laudenbach