SCOP, SCIC, association : l’économie sociale et solidaire a le vent à poupe ! Un monde nouveau, où les salariés peuvent aussi être les associés de leur structure et décider en commun de sa stratégie, où la richesse produite n’appartient plus aux seuls actionnaires mais à tous, et où les plus fragiles socialement peuvent accéder à l’emploi… Ce monde est possible : il est en train d’émerger avec l’ESS et les structures coopératives. Quels nouveaux chemins nous invite-t-elle à suivre ? Quel espoir porte t’elle pour notre économie de demain ?
Alors même que le ralentissement de l’économie mondiale en 2020 a permis de donner à notre planète une nouvelle respiration et avant même que l’épidémie ne soit maitrisée, chaque territoire, chaque pays, chaque multinationale s’est déjà remis à courir après la croissance perdue et la défense de ses privilèges.
Pourtant, cette pandémie l’a encore montré : la voie du tout marchand est une impasse et le tout commensurable avec tout, une illusion !
Et si, finalement, derrière cet immobilisme et cet enrayement de l’économie globale, nous n’étions pas appelés à ouvrir un passage vers une écologisation de notre société, en inventant de nouvelles formes de production, de commerce et d’échange ?
La montée en puissance des inégalités, des phénomènes d’exclusion et des tensions associées ne nous laissera probablement pas le choix : nous allons être contraints d’expérimenter rapidement de nouvelles résiliences, durabilités et solidarités sociales.
Mais un tel programme est-il audible aujourd’hui ? Si oui, quels chemins emprunter ? de quel modèle s’inspirer ?
Si nous voulons donner à la terre et à ses habitants un autre avenir, relever le grand défi d’une transition vers plus de sobriété et de frugalité, il faudra d’abord le faire de manière collective.
Or, ces nouveaux chemins, qui mènent à un autre rapport à la richesse et à la propriété, qui engendrent un autre partage du pouvoir et du savoir, sont arpentés depuis plusieurs décennies par l’Economique Sociale et Solidaire (l’ESS), qui s’appuie sur une multitude d’initiatives citoyennes au travers, notamment, des sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC). Celles-ci pourraient devenir un tremplin pour repenser notre relation au travail.
En conciliant des aspirations souvent contradictoires, de liberté et de sécurité, d’autonomie et de protection, elle permet de retrouver la voie de la démocratie aujourd’hui dans nos entreprises.
En faisant du travail un bien commun, elle permet de limiter son impact sur l’environnement, de lui redonner son sens perdu, son utilité positive, sa finalité, et d’inventer de nouvelles formes de justice sociale.
‘’Vivre et travailler autrement’’ avec l’ESS… ou comment, à l’heure des grandes transitions écologiques et sociales, donner au slogan prémonitoire du MCC de la chair et un vrai sens concret, avec courage, responsabilité et foi !
Comprendre les ruptures
Qu’est-ce que l’économie sociale et solidaire ?
« Le concept d’économie sociale et solidaire (ESS) désigne un ensemble d’entreprises organisées sous forme de coopératives, mutuelles, associations, ou fondations, dont le fonctionnement interne et les activités sont fondés sur un principe de solidarité et d’utilité sociale. »…..
« Reconnue par la loi du 31 juillet 2014, l’économie sociale et solidaire (ESS) regroupe un ensemble de structures qui cherchent à concilier utilité sociale, solidarités, performance économique et gouvernance démocratique, avec pour ambition de créer des emplois, de développer une plus grande cohésion sociale et de répondre à des besoins d’intérêt général. »….
« Ainsi, dans la diversité de leurs formes, les entreprises de l’ESS se mobilisent pour remettre l’humain au cœur de l’économie et répondre aux grands défis de la société : combat contre l’illettrisme et le décrochage scolaire, soutien à l’autonomie des personnes âgées et des personnes en situation de handicap, lutte contre l’exclusion et le chômage, développement de l’économie circulaire, promotion de l’économie du partage grâce au numérique. »…
« Inscrite dans une histoire ancienne, l’ESS tire ses racines au 19e siècle dans les premières associations ouvrières, les coopératives de consommateurs et d’habitants et les sociétés de secours mutuel. Précurseuse sur les logiques d’innovations sociales, l’ESS trouve une audience croissante auprès des jeunes générations en quête de sens dans leurs engagements, qu’ils soient bénévoles ou professionnels »
https://www.economie.gouv.fr/cedef/economie-sociale-et-solidaire
L’ESS en chiffres (2018 en France) :
- 13% des emplois par rapport à l’emploi privé total
- 10 % du PIB
- 200 000 entreprises
- 2,4 millions de salariés
- 12 millions de bénévole
L’ESS dépend du ministère de la transition écologique
Le Labo de l’ESS est un think tank qui construit, par un travail collaboratif, des axes structurants de l’économie sociale et solidaire, à partir d’initiatives concrètes, innovantes et inspirantes issues des territoires. https://lelabo-ess.org/
La Formation : Master Économie Sociale et Solidaire forme les futurs professionnels de l’ingénierie de projets de l’ESS par l’accès aux compétences de conception, de conduite, de développement et d’évaluation des projets d’innovation sociale et de développement durable, aux frontières de l’action publique et des activités des organisations de l’ESS (associations, coopératives, mutuelles, fondations). Cette formation s’est forgée une solide expérience en matière d’innovation pédagogique par son attention pour des modèles d’apprentissage qui privilégient la coopération en équipe, le regard réflexif sur les expériences et l’appropriation des compétences spécifiques à l’ESS (dialogue, coopération).
ATLAS de l’économie sociale et solidaire de la Métropole du Grand Paris 2020 : https://www.cressidf.org/wp-content/uploads/2020/06/Atlas-MGP-CRESS-IDF-web.pdf
Questionnement :
L’ESS peut-elle incarner un projet de transformation démocratique de l’économie?
La force de la coopération est de questionner et de transformer les rapports :
- à la propriété par la construction de communs à l’usage de leurs sociétaires et contribuant à l’intérêt général, rejetant la constitution de plus-values capitalistiques comme l’appropriation individuelle de richesses créées collectivement.
- au pouvoir par la mise en œuvre de modalités de gouvernement privilégiant la concertation et l’intelligence collective, dans une logique de citoyenneté économique
La nécessité d’un changement d’échelle progressif !
Une transition brutale signifierait des faillites d’entreprise, une augmentation du chômage, peut-être des pénuries ou des ruptures des chaînes d’approvisionnement, une crise boursière entraînant des scénarios noirs de récession, suivis de crises sociales et politiques. Sans compter que la plupart des systèmes de santé vont être durement touchés.
C’est donc les territoires qui devraient devenir les lieux majeurs de la gestion des relations entre les personnes, la société et la biosphère.
Notre économie ‘’casino’’ basé sur la surconsommation dans une chaîne de valeur ultra-mondialisée et fondée sur une croissance infinie pourra-elle décélérer sans se déséquilibrer ?
Non ! répond Hartmut Rosa (philosophe et sociologue allemand intervenant au congrès de Paris 2016) : « nos sociétés modernes ne connaissent de stabilisation que dynamique. Dans un monde fondé sur la croissance, nous ne savons pas décélérer sans perdre l’équilibre »
Il faudra donc remplacer notre modèle économique autorégulé et aller regarder du côté des modèles Polanyien (réguler le travail par le prix) plutôt que du côté Schumpétérien (destruction créatrice).
Cette vision, à la croisée des disciplines, nous incite à revenir au collectif et à replacer la démocratie, l’horizontalité au cœur des différentes sphères de la société : https://fr.wikipedia.org/wiki/Karl_Polanyi et https://theconversation.com/mobiliser-les-sciences-de-gestion-pour-reussir-la-transition-ecologique-et-sociale-110383
Même si le GIEC reste imprécis sur les politiques concrètes à mener il énonce une idée forte: Il est impossible d’aller vers une réduction massive des gaz à effet de serre sans une forte baisse de la demande énergétique et donc une certaine sobriété collective allant de pair avec plus d’équité et de justice sociale.
Espérer pour demain :
Nous pouvons nous inspirer de trois expérimentations innovantes :
1 – Coopaname, Au-delà du salariat : une mutuelle de travail associé. Créée en 2004, est une coopérative ouvrière et œuvrière issue du mouvement des coopératives d’activités et d’emploi. Multi-activité et ouverte, Coopaname propose à tout travailleur et toute travailleuse, qu’elle soit graphiste ou rempailleur de chaises, consultante ou e-commerçant, développeur informatique ou magicienne, d’intégrer librement la coopérative, d’y apporter son savoir-faire et d’y développer, de manière autonome, une activité économique qui lui permettra de s’y salarier et d’y bénéficier d’une protection sociale.
2 – La Louve, est une coopérative alimentaire participative. Elle s’efforce de proposer à ses membres une alimentation de qualité à prix réduit, en donnant la priorité mais pas l’exclusivité aux producteurs locaux, aux circuits courts et aux produits de saison. Garantissant l’excellence des produits sélectionnés grâce à une exigence gustative, nutritionnelle et sanitaire élevée, elle promeut le développement d’une agriculture à la fois favorable aux paysans et respectueuse de l’environnement. La Louve est un organisme qui recherche la transparence dans tous ses actes d’achat, de vente, de gestion et d’administration. Elle est gérée et gouvernée par ses membres.
3 – Le Relais est plus qu’un restaurant-traiteur, c’est une Société Coopérative d’Intérêt Collectif dont le projet est porté par un modèle unique : la formation de stagiaire qui acquièrent au cours de leur cursus une expérience professionnelle et des compétences métiers recherchées sur un secteur en pénurie de personnel qualifié.
http://lerelaisrestauration.com/
Agir dès aujourd’hui :
Pourquoi l’ESS peut-elle être un modèle inspirant ?
- pour réinterroger notre rapport à la croissance, à l’utilité sociale, à la sobriété
- par ses échelles de salaire réduites, qui peuvent remettre en cause la centralité et le surinvestissement du travail dans nos vies
- par la participation de bénévoles qui introduit la notion de gratuité au cœur de l’économie
- par les activités d’insertion au travers de l’IAE (insertion par l’activité économique) qui prouve que nul n’est inemployable et que chacun à des talents valorisables pour le bien commun. https://www.avise.org/decouvrir-less/insertion-par-lactivite-economique
- comme une alternative à la perte de sens au travail ou plus prosaïquement des “bullshitt jobs”,(boulots à la con).
Quel prix sommes-nous prêt à payer pour passer du moins de biens au plus de liens?
- sommes-nous prêt à apprendre à gérer la frustration et le manque ?
- sommes-nous prêt à repenser les critères et les modèles de réussite sociale ?
- sommes-nous prêt à prendre le risque du déclassement et du manque de reconnaissance ?
Comment l’ESS interpelle-elle nos présupposés ?
par les activités tertiaires qui représentent 97% des emplois de l’ESS ce sont des emplois non substituables et non délocalisables. Lors du confinement nous avons redécouvert que les activités, métiers et emplois ‘’à faible productivité apparente’’ (nettoyage, caissière, éboueurs, livreurs…) étaient en réalité vitaux pour survivre.
Comment interpelle-t-elle notre vision du monde ?
- par le refus du dumping social d’un capitalisme concurrentiel et de compétition qui ne prend en compte que les gains de productivité
- et par une décélération qui ne nous oblige plus à courir toujours plus vite dans le seul but de garder notre place ?
N’impliquerait-elle pas parallèlement une transition spirituelle ?
Probablement, car si la réussite professionnelle et l’accès à la consommation qu’elle permet ont pris autant de place dans nos vies c’est parce qu’ils ont su combler un vide existentiel. https://www.la-croix.com/Debats/Forum-et-debats/pensee-sociale-chretienne-ressource-crise-actuelle-2019-02-18-1201003329
……..« Le respect de la dignité de la personne humaine passe par la participation de tous dans les institutions politiques et économiques. Nul ne devrait se sentir ignoré, inutile ou méprisé. Il nous faut revitaliser une démocratie qui soit davantage participative mais aussi concevoir des modèles économiques qui ne laissent personne de côté. Les solutions existent (expérience territoire zéro-chômeurs, économie sociale et solidaire, etc.). Aurons-nous le courage de nous y engager ? »….
…. « le détour de pensée auquel convie le pape dans son encyclique amène aussi à renouveler notre regard sur le monde et à découvrir la richesse des initiatives personnelles et collectives déjà prises et des processus déjà engagés et qui contribuent à la transition écologique : économie sociale et solidaire, circulaire, collaborative, d’usage, circuits courts de distribution, agriculture raisonnée, monnaies locales, banques du temps… Mesuré en termes de PIB ou de contribution à la croissance, tout cela peut paraître très modeste. Et pourtant, rien de tout cela ne peut être tenu pour anodin. C’est le signe d’un monde qui change pour s’émanciper du paradigme technico-économique dominant. Un changement peut-être imperceptible, à l’image du « brouillard qui filtre sous une porte close » (LS 112), résultat de toutes les actions « qui essaient de construire un monde meilleur » (LS 231) »….