Bruno Latour, philosophe et sociologue bien connu du MCC, aidé par Nikolaj Schultz, doctorant danois, met les pieds dans le plat avec ce court « mémo sur la nouvelle classe écologique » qui fera réagir par l’originalité de son point de vue sur la place de l’écologie dans le panorama sociopolitique.
S’interrogeant sur les freins qui s’opposent au leadership de l’écologie politique, il fonde toute sa démonstration sur le fait que, aujourd’hui, la « classe écologique » reste à construire. Les classes sociales qui ont, depuis deux siècles, structuré la vie publique, c’est-à-dire la classe dirigeante forgée par le libéralisme et la classe des travailleurs voulant construire le socialisme, avaient un langage commun fondé sur la production et sur la distribution des richesses produites. Malgré leurs oppositions, elles tiraient dans le même sens. Garder une terre habitable change entièrement les choses.
Pour Bruno Latour, la « classe écologique », celle qui sortira le monde actuel de ses impasses, est largement majoritaire et est légitime pour conduire les nécessaires transformations du monde. Mais elle n’a pas encore conscience de son unité, car elle est faite de composantes extrêmement diverses, non seulement de ceux qui militent pour la protection de l’environnement, mais aussi de tous ceux qui, au sein de multiples réseaux, contribuent à « engendrer » un monde nouveau par de multiples innovations sociales ou relationnelles.
De même que la conscience de classe ouvrière a mis longtemps à se structurer, à clarifier son cadre de pensée, autant de préalables à une réelle présence dans le champ politique, de même la conscience de « classe écologique » nécessite aussi une maturation préalable. Mais l’auteur explique pourquoi et comment un basculement peut s’opérer assez rapidement. La diversité des réseaux qui composent la « classe écologique » est une chance pour réinventer de nouvelles méthodes de décision, de nouvelles modalités de pouvoir. Dans cette perspective, Latour présente la construction européenne, avec ses nécessaires compromis et ses ambiguïtés, comme une illustration de ce que pourra bâtir la « classe écologique » dans des relations qui dépasseront toute frontière.
Certains pourront être critiques envers ce texte, le jugeant trop déconnecté du réel ou trop marqué par un langage empreint de Marx. Mais ce livre qui prend de la hauteur par rapport à la plupart des discours actuels sur l’écologie politique amène à voir les choses sous un autre angle. Même sans entrer dans les vues de Bruno Latour, le lecteur ne sortira pas indemne de ce très court livre, de lecture aisée et qui mène son récit prophétique de façon très construite.
Arnaud Laudenbach