Lors de l’une de ses interventions, le 13 mars 2010 Geneviève Guénard, directrice administrative et financière du CCFD, religieuse auxiliatrice a insisté sur l’importance de trois principes. Tout d’abord le fait que l’homme doit être placé au centre de toute la vie économique et non l’inverse. Ensuite que la solidarité est un devoir. Et enfin que prendre en compte le bien commun est une impérieuse nécessité.
Partons de deux paraboles, d’abord celle du bon samaritain qui commence par un juriste religieux demandant à Jésus « qui est mon prochain ? ». Elle se termine par une question de Jésus à ce juriste : « qui a été le prochain de cet homme ? ».
Se décentrer
Jésus a complètement renversé la perspective. Quand je demande « qui est mon prochain ? », je me place au centre et je regarde autour de moi. Quand Jésus demande « qui a été le prochain de cet homme », il le place, lui, au centre. Et celui qui est ainsi placé au centre, c’est celui qui est meurtri, abandonné, au bord de la route.
Et ce texte se termine par « va, et fais de même ». Nous sommes invités à mettre celui qui est meurtri, abandonné, au centre de tout.
C’est à quoi s’efforce le CCFD par sa démarche de partenariat. Remarquons que c’est aussi l’interpellation que nous fait la nouvelle carte du monde CCFD, qui est un mélange de la carte de Peters (respect des surfaces) et de la carte de Mc Arthur (australien, qui ne voyait pas pourquoi l’Europe serait au-dessus de l’Australie) : sur cette carte, c’est quelqu’un d’autre qui est au centre.
Un désintérêt dangereux
L’autre parabole, c’est celle des talents. Considérons d’abord ce qu’est un talent : c’est 6 000 deniers, un denier étant la valeur d’une journée de travail. Un talent, c’est donc 17 années de travail. Cinq talents, cela dépasse une vie de travail. Alors, 10 talents… !
Et Jésus critique le troisième serviteur : « tu aurais au moins pu le placer à la banque et je l’aurais récupéré avec les intérêts ».
Vis-à-vis des biens du monde, nous sommes tous des intendants qui devons les gérer au mieux.
Or, nous les catholiques, et beaucoup de gens que notre culture a influencés, sommes méfiants, distants vis-à-vis de l’argent. Un banquier me disait un jour : « beaucoup de gens qui me confient de l’argent à placer y consacrent moins de temps qu’à choisir un réfrigérateur ». Mais cette distance, ce désintérêt, c’est dangereux car nous nous soumettons à l’argent faute de vouloir le diriger. Et l’argent est un maître exigeant, qui impose sa logique, celle du « toujours plus ».
Alors, comment faire, quels repères avons-nous ?
L’homme au centre
Premier principe : l’homme est au centre de toute la vie économique (Caritas in Veritate). Ce principe s’oppose à la logique actuelle qui fait de l’homme un agent de la vie économique : agent de production ou agent de consommation.
On parle de financiarisation de l’économie. Cela signifie que les choses ne sont vues qu’en fonction de leur valeur financière. Ainsi, le prix du blé ne dépend pas de la loi de l’offre et de la demande, mais d’une spéculation où on n’a jamais vu le blé. Cela fait monter les prix et cela a conduit aux émeutes de la faim de 2008 : on n’a jamais manqué de produits alimentaires, mais ils étaient devenus trop chers.
L’histoire des subprimes correspond à la même logique : au départ, on a prêté sur la valeur de la maison. Ensuite on a fait des prêts complémentaires associés à l’augmentation supposée de la valeur de la maison. Ensuite on a vendu dans le circuit financier des droits sur ces prêts. Le jour où la valeur de la maison ne correspondait plus aux anticipations, il y a eu une panique généralisée parce que personne ne savait plus exactement ce que valait ce qu’il avait acheté.
Et on en est arrivé à une crise de « l’économie réelle ». Donc l’économie financière n’est pas réelle ! Mais elle est fascinante, car c’est fascinant de jouer. Et tous, nous entrons facilement dans ce jeu. Quand nous demandons simplement aux banquiers ce que va rapporter mon placement, et non à quoi il va servir, je suis dans ce schéma.
Un devoir de solidarité
Deuxième principe : la solidarité est un devoir (CV)
Nous sommes dans une société de droit, on pourrait même dire de droits. Et ces droits, nous les défendons : les fameux droits acquis. Nombreux sont ceux qui sont tentés de prétendre ne rien devoir à personne, si ce n’est à eux-mêmes. Ils ne s’estiment détenteurs que de droits et ils éprouvent souvent de grandes difficultés à grandir dans la responsabilité à l’égard de leur développement personnel et de celui des autres.
Il est important de susciter une nouvelle réflexion sur le fait que « les droits supposent des devoirs sans lesquelles ils deviennent arbitraires » (CV). Nous avons le devoir de vérifier que la défense de nos droits ne va pas détruire ceux qui sont autour de nous. Avoir en commun des devoirs réciproques mobilise plus que la seule revendication de droits.
Au service du bien commun
Troisième principe : il faut prendre en compte le bien commun.
La solidarité, ce n’est pas la compassion… mais le travail pour le bien commun (CV). Mettre son argent dans un coffre-fort n’est pas coopérer au bien commun (cf. parabole des talents).
« L’homme ne doit jamais tenir les choses qu’il possède légitimement comme n’appartenant qu’à lui, mais les regarder aussi comme communes, en ce sens qu’elles puissent profiter non seulement à lui mais aussi aux autres » (Gaudium et spes). Il s’ensuit un devoir de la part des propriétaires de ne pas laisser improductifs les biens possédés, mais de les destiner à l’activité productrice, notamment en les confiant à ceux qui ont le désir et les capacités de les faire fructifier.
En pratique :
Il est légitime de se constituer un patrimoine. Mais il faut savoir répondre à deux questions. La première est «Qu’est-ce que j’en fais, comment est-ce que je le mets au service des autres ? » La seconde est « Comment est-ce que je le constitue ? Quelles questions est-ce que je pose à mon banquier ? »
Il est difficile de répondre lucidement à ces questions en étant seul. Se mettre ensemble donne de la force et du poids.
Si je rentre dans un fonds commun de placement, je peux, avec tous les autres épargnants, être plus exigeant.
Dans une rencontre avec des dirigeants de Total, ceux-ci demandaient au CCFD si Total figurait dans le portefeuille du fonds « Ethiques et Partage ». Pourquoi ? Parce qu’il est bon pour une entreprise d’être reconnue comme éthique, c’est un bon outil de communication vis-à-vis des actionnaires. Le questionnement des actionnaires aux entreprises fait bouger les entreprises.
Le CCFD-Terre Solidaire est engagé depuis plus de 25 ans dans cette finance solidaire et par elle dans la lutte contre l’exclusion. En créant la SIDI en 1983, le CCFD a voulu lutter contre une exclusion à laquelle on ne pense pas facilement : l’exclusion bancaire. Et depuis, c’est tout un ensemble de finances solidaire qui s’est développé.
Notes prises par Guy Dequeker