Où atterrir ? C’est la question brutale que les réfugiés climatiques vont nous poser au fur et à mesure que les classes dirigeantes mondialisées décideront d’abandonner tous les fardeaux de la solidarité. Pour le philosophe et sociologue des sciences Bruno Latour, la montée des inégalités, les réactions populistes et le déni du nouveau régime climatique sont le même phénomène.
Pourtant, la tentation contemporaine de vivre « hors-sol » indique en creux l’apparition d’un nouvel « attracteur » (espace vers lequel un système évolue de façon irréversible en l’absence de perturbations) politique : le terrestre. Il va petit à petit redéfinir les oppositions entre les « progressistes » qui nous entraînent vers un monde global et les « réactionnaires » qui rêvent d’un retour nostalgique vers le local. Il permet d’assurer le relais entre les luttes sociales et les luttes écologiques. Car c’est en cherchant ce à quoi nous tenons vraiment que les conflits écologistes pourront révéler ce qu’ils sont : une lutte des modes d’existence. En d’autres termes, il s’agit de quitter une conception de plus en plus objectivante de la production pour retrouver la vielle conception du travail d’engendrement qui soigne la terre et les gens.
Pour cela, l’auteur réinterprète le concept de « nature » qui a figé les oppositions entre une nature froide vue de l’extérieur et une nature chaude vue de l’intérieur. Ce changement de paradigme n’est pas plus grand que celui qu’ont fait les révolutionnaires en posant des cahiers de doléances. L’essai se termine par un crédo étonnant : l’Europe a déjà pris ce chemin en dépassant les souverainetés nationales et en mettant en débat ses cultures diverses.
Ce petit livre est très stimulant pour ceux qui connaissent Bruno Latour – il dévoile son combat politique – comme ceux qui veulent découvrir un grand intellectuel français.
Bertrand Heriard, aumônier national
Où atterrir ? Comment s’orienter en politique, Bruno Latour, La Découverte, 2017, 160 p., 12 €