Née d’une famille de la bourgeoisie juive non pratiquante qui a donné à la France un président de l’Académie des sciences et un médecin de Napoléon III, Hélène Berr livre dans son Journal, son quotidien sous le Paris de l’Occupation, de 1942 à 1944.
Avant d’être déportée en mars 1944 à Auschwitz puis exterminée au camp de Bergen-Belsen en avril 1945, elle raconte la tendre insouciance de ses 21 ans inexorablement assombrie par la « conscience perpétuelle » qu’elle a du drame en train de se nouer.
Préparant l’agrégation d’anglais mais bientôt exclue du concours pour cause de législation anti-juive, Hélène Berr arpente à longueur de journées les rayonnages de la bibliothèque de la Sorbonne ainsi qu’accompagnée d’amis, les rues de Paris. Entre les rencontres amicales, les visites à sa grand-mère, sa passion du violon, les lectures de littérature anglaise, son amour naissant pour un certain J.M, l’aide bénévole aux enfants de l’UGIF (Union générale des Israélites de France) mais aussi pour notre plus grande chance, les confidences à son Journal, les journées cultivées et heureuses d’Hélène Berr offrent un contraste saisissant : tiraillée entre une joie de vivre contagieuse et une insoutenable clairvoyance, elle pressent « la Mort [qui] pleut sur le monde ».
Alors bien sûr on a envie d’en vouloir à cette famille. Pourquoi ne fuit-elle pas, notamment au retour de l’internement du père, Raymond Berr, vice-président des établissements Kuhlmann, à Drancy ? Et plus tard, lorsqu’arrestations, rafles et déportations se multiplient autour d’eux ? « Fuir, ce serait une défection » note gravement Hélène Berr le 13 décembre 1943. Et puis elle nous renvoie une interrogation : « Mais, eux [les catholiques], qu’ont-ils fait du Messie ? (…) Ils crucifient le Christ tous les jours ». Et un peu plus loin : « J’ai lu l’Évangile selon Saint Matthieu (…). Il m’a semblé (…) que j’étais plus près du Christ que beaucoup de chrétiens ». Ou encore : « A-t-on le droit de traiter des êtres humains comme des bêtes ? Voilà à quoi nous sommes parvenus vingt siècles après la venue du Christ ». En même temps que l’étau se resserre, elle prend conscience de son devoir de mémoire : « J’ai un devoir à accomplir en écrivant car il faut que les autres sachent ».
Merci Hélène Berr, pour votre précieux témoignage, vous qui avez voulu croire jusqu’au bout à « la supériorité du bien sur le mal » ; ce fut votre faiblesse, c’est toujours votre grandeur. « Ceci est mon journal », vous nous l’avez offert. Posthume, il rend voix à votre âme.
Marie-Hélène Massuelle
Journal, Hélène Berr
préface de Patrick Modiano, postface de Mariette Job, Points 2009, 329 p. – 7,10 € (existe aussi en édition audio-livre sur CD, lu par Elsa Zylberstein)