Du général de Gaulle qui évoquait il y a 70 ans « l’Orient compliqué », à l’actuel ministre des affaires étrangères de la France, Alain Juppé, reconnaissant récemment que « nous ignorions des pans entiers des pays arabes », force est de constater la difficulté que nous avons à aborder la question du Maghreb et du Moyen-Orient. Et la modestie qu’il faut y mettre.
Pour autant, doit-on se refuser à comprendre, au risque de ne faire qu’effleurer le sujet, « ce qui se passe dans le monde arabe » aujourd’hui, comme nous y invitait le libellé de la conférence organisée par le Réseau Relations Internationales (MCC-Pax Romana-Siiaec), le 4 mai dernier, au 18 rue de Varenne (Paris 7e) ? Sans doute pas…
François Zabbal, rédacteur en chef de la revue Qantara et enseignant en philosophie à l’Institut du monde arabe à Paris, et Adel Sidarus, professeur d’études arabes et de l’Orient chrétien à l’Université catholique de Lisbonne, tous deux chrétiens, ont tenté deux heures durant d’éclairer, pour un public nombreux et intéressé, ce qui se joue depuis le début de l’année dans les pays du Maghreb et du Moyen-Orient.
Vers un concept de citoyenneté
Les deux conférenciers sont d’abord revenus sur les causes et les acteurs de ces révolutions qui se font faites « au nom de valeurs universelles, des droits de l’homme et de la dignité de celui-ci comme fils d’Adam ». Des révolutions qui ont rejeté d’un même revers de main et d’une même voix nationalisme, panarabisme et islamisme, grille de lecture politique des 50 dernières années, pour se tourner vers le concept de citoyenneté, sans appel aux divisions. Révolutions portées avant tout par les jeunesses de ces pays, générations d’enfants issues de la dictature, confrontées au chômage et à la frustration de ne pas pouvoir prendre en main son destin, alors qu’elles sont éduquées et ouvertes sur le monde (Internet, réseaux sociaux…). Cette jeunesse, forte de son poids démographique (souvent 50% de la population de ces pays), n’a pas eu peur d’exprimer son exaspération et de secouer le joug de dictatures policière et/ou militaire, économique, gangrenées par la corruption et verrouillées par le jeu des système claniques
Ces révolutions ont totalement surpris les élites en place, abasourdies et incapables d’imaginer la force de leurs propres peuples à prendre en main leur destin, tant ces systèmes s’avèrent inaptes de se réformer. Elles ont aussi surpris et embarrassé parfois l’Occident, passif ou complice, des décennies durant, de ces régimes, contribuant à leur pérennisation par intérêt économique (post-colonialisme) ou politique (rempart contre l’islamisme)
Un avenir incertain
Après cet état des lieux, il restait à évoquer l’après-révolution. Comment la gérer ? Nos conférenciers ont fait preuve de prudence et d’optimisme modéré, conscients que beaucoup de révolutions ont fini en Terreur, contre-révolution, ou ont pris leur temps avant de moissonner ce qui avait été semé le temps d’un printemps… Ajoutons à cela une situation économique incertaine, qui va aussi conditionner l’issue de ces révolutions.
La troisième partie de la conférence et le jeu des questions/réponses avec le public ont porté sur la façon dont le monde occidental, et en particulier l’Europe comme voisin de la rive méditerranéenne, devait et pouvait soutenir ces peuples du monde arabe. Plus que de pardon ou de repentance, François Zabbal et Adel Sidarus ont insisté sur la nécessité d’un changement de posture du monde occidental. Sans oublier la connivence exercée à l’égard de ces régimes, mais pour en tirer des enseignements : « Il faut comprendre que ces peuples, aujourd’hui, ne veulent pas avoir à choisir entre le pain et la liberté, mais qu’ils aspirent aux deux ». Il sera difficile de les aider sans révolutionner aussi nos propres mentalités. En effet, ces révolutions ont manifesté la nécessité que chaque citoyen soit traité d’égal à égal… Mais ce qui s’énonce entre citoyens d’un même pays doit aussi se vérifier dans le rapport Nord/Sud, Occident/Orient. Y sommes-nous prêts ?
Un changement de posture nécessaire
Autre piste de réflexion : l’Europe devrait apprendre de la jeunesse arabe qu’ « un autre monde est possible » en Occident, et que, même dans un régime politique démocratique, la « dictature anonyme du capital », celle de l’argent, pervertit aussi la notion de solidarité chez nous…
Plus globalement, ce changement de posture passe aussi par le fait de ne plus lire les événements à travers le risque et la peur : celle de l’autre, du migrant, de l’islam…
Deux pistes concrètes sont proposées par Adel Sidarus :
instaurer un plan Marshall à destination des pays de l’autre rive de la Méditerranée. Il relaie en cela l’idée lancée par le philosophe Edgar Morin. Une alternative à l’Union pour la Méditerranée, créée en 2008, et qui n’a été pour l’instant qu’une coquille vide.
mettre en place un « programme Averroès », à l’image du programme européen Erasmus, c’est-à-dire un principe d’échanges culturels et de savoirs entre jeunes des deux rives de la Méditerranée. Avec l’idée que des jeunes Européens viennent étudier dans les pays arabes, et pas seulement l’inverse. Pour l’instant, il est très difficile d’obtenir un visa pour étudier dans ces pays, a confirmé un membre du public.
Sur un plan plus politique, François Zabbal reconnaît que cet enjeu « d’égal à égal » va se confronter à la realpolitik, l’Occident cherchant d’abord à préserver les grands équilibres régionaux, qui passent au-dessus de l’idéal démocratique et du droit des peuples à se prendre en main.
Difficile, donc, en deux petites heures, de faire autre chose que d’effleurer ce sujet si riche et complexe, et sans même d’ailleurs en avoir survolé la totalité (quid de la géopolitique du golfe Arabo-Persique, de la question palestinienne, de l’intervention en Lybie, du dramatique cas syrien, de l’avenir de l’Algérie alors que se profile en 2012 le 50e anniversaire de son indépendance, etc.)
C’est pourtant tout l’intérêt de cette conférence que d’avoir offert un éclairage à nos interrogations sur ces révolutions arabes, « entre appréhensions, espoirs et responsabilités européennes ». Et de permettre au MCC, en lien avec Pax Romana et le Siiaec, de « développer une conscience plus universelle, qui inspire la réflexion et l’action avec d’autres pays ».
Pierre-Olivier Boiton
membre du comité de rédaction
Merci à Anne-Isabelle Barthélémy, journaliste, MCC Jeunes professionnels ;
Marion Chamming’s, conseillère en insertion et orientaliste ;
Abdelkader Oukrid, professeur à l’Ecole polytechnique, modérateur à la mission universitaire de France.