Cet atelier proposait à ceux qui travaillent dans la santé ou le médico-social et qui subissent depuis de nombreuses années la rationalisation et la recherche d’économies liées aux politiques publiques tout en ayant participé à la forte mobilisation des années Covid, de partager leurs préoccupations et les chemins pour demain. Animé par Albert Vérier (praticien hospitalier retraité), il a fait intervenir Isabelle Girard-Buttaz (praticien hospitalier, chef de service), Delphine Colas (directrice d’une résidence d’autonomie), Édith Dessirier (cadre soignant en soins palliatifs) et Victor Layet (médecin généraliste). Retour sur ses conclusions marquantes.
La tarification à l’activité, le développement de l’hôpital-entreprise, les contraintes administratives imposées par les tutelles, et la Covid avec les nombreux départs de soignants et les difficultés de recrutement, source d’une surcharge de travail épuisante pour ceux qui restent, font que beaucoup de soignants ont l’impression de perdre le sens de leur métier. La question est bien de replacer l’homme et la femme au centre de nos activités. Il s’agit de ne pas baisser les bras, de se remotiver et de retrouver ce qui redonne du sens à nos pratiques, sans nier les difficultés mais sans se laisser étouffer par elles.
1- Tout d’abord, il faut se recentrer sur le patient, et non le soignant ou l’organisation, et ce dès la formation (stages de compagnonnage).
C’est être tout à l’écoute du patient avec son histoire et son environnement (familial, social, professionnel, spirituel…), de ses attentes, du rythme de son temps, en vue d’une prise en charge globale et pas seulement d’un symptôme ou d’une maladie. C’est donner la parole au malade ou/et la personne âgée et l’écouter vraiment.
C’est lui rendre son autonomie (physique et mentale) et lui permettre de se réapproprier son dossier de soins, voire sa santé elle-même par une alliance thérapeutique dans le cadre d’un projet de soins et d’un projet de vie
C’est aussi redonner un sens à sa vie (notamment celle des personnes âgées). Elles ont vécu avant d’être malades ou âgées.
Se centrer sur le patient, c’est tout simplement lui redonner de la vie. Les hôpitaux et les lieux d’accueil des personnes âgées sont ainsi des lieux de vie. Pour être heureux et épanoui, il ne s’agit pas seulement d’être en bonne santé physique, mais être en lien, ce lien qui donne sens à sa vie. Se sentir en vie, c’est d’abord être en relation, c’est compter pour quelqu’un et pouvoir compter sur quelqu’un, aimer et être aimé.
2- Travailler davantage en équipe.
Il nous faut aussi travailler davantage en équipe quelles que soient nos fonctions, compétences et responsabilités professionnelles mais aussi avec les familles et l’entourage des patients, pour mieux connaître la personne et coordonner nos actions : communiquer entre nous par tous moyens, partager nos points de vue, échanger sur nos pratiques, analyser ensemble les situations, coopérer pour réaliser un réel réseau de soins rassurant pour le patient. Les pôles hospitaliers, avec des pools de personnels soignants et l’insistance sur la flexibilité, ont pu mettre en insécurité certains soignants qui doivent s’investir dans des domaines en dehors de leurs compétences et sans le soutien de leur équipe habituelle. Il est important d’accueillir les nouveaux professionnels avec leurs compétences propres et en acceptant qu’ils ne savent pas tout.
Le travail en équipe nécessite une écoute de soi, une reconnaissance et une expression de ses limites. L’organisation du travail en équipe permet aussi plus de disponibilité avec une régulation des urgences (partage des tâches).
Il nous faut aussi travailler en équipe pour élaborer une nouvelle politique de santé en sortant de nos tours, nos silos : hospitaliers-libéraux, médecins-soignants-administratifs, CHU-hôpitaux périphériques, travailler avec les tutelles et les mairies… C’est ensemble que nous trouverons les bonnes solutions.
3- Il est essentiel de retrouver du sens à ce que l’on fait.
L’évolution numérique apporte beaucoup (et on ne va pas revenir en arrière) mais entraîne une augmentation des contraintes administratives et l’impression pour les soignants de passer leur temps derrière les écrans et non près du malade, d’où un sentiment de perte de sens. Le travail devient une suite de tâches à cocher au détriment d’une prise en charge globale d’une personne malade.
Il ne s’agit pas simplement d’accomplir une tâche, respecter un protocole mais de saisir pourquoi on le fait et comment, être imaginatif et créatif dans les soins en écoutant aussi bien les jeunes recrues qui ont un regard neuf que les anciens avec leur expérience. Le soignant n’est plus un simple exécutant mais fait partie d’une dynamique.
Redonner du sens, c’est aussi sortir de la routine et faire évoluer les pratiques et les fiches de postes en fonction des progrès techniques (ex. dictée vocale …). Les besoins des malades évoluent aussi (ex. : besoin d’une ordonnance de sortie et surtout d’explications) et il nous faut donc revoir nos organisations.
Malgré la surcharge de travail et la dégradation des conditions de travail avec la Covid, il nous faut rester attentifs aux besoins de chacun, que ce soit le patient ou nos collègues. Il importe de respecter les compétences de chacun. L’organisation ne doit pas prendre le pas sur la personne. La finalité est de restaurer le projet de vie du malade ou de la personne âgée.
Contribuent au sens, la reconnaissance et le respect du travail accompli par la valorisation financière des métiers de la santé (eh oui !), la facilitation de la vie des soignants, la mobilité des agents au sein même de l’hôpital, le soutien de la formation professionnelle, le respect, la confiance et l’écoute, par les institutions tutelles, des équipes et de leurs propositions, le partage des expériences… Il nous faut des espaces de parole pour renouer les liens direction-salariés. Stop au management par mails. Chacun doit être respecté à l’aulne de ses compétences et de son engagement, son implication. Il est important de retrouver la fierté de ce que l’on fait (et nous pouvons être justement fiers de la mise en place en équipe de certaines techniques de pointes ou de certaines prises en charge).
La qualité des soins (care) repose aussi sur le respect des bonnes pratiques, recommandations et procédures. La non-qualité coûte cher en temps et en argent. L’évaluation de cette qualité reste néanmoins difficile et notamment celle de la mise à jour des connaissances (en particulier des médecins : formation à une lecture rigoureuse des articles scientifiques et aussi groupe de pairs pour échanger sur les questionnements face à certaines prises en charge).
Mais la qualité, c’est principalement mettre de la vie malgré la maladie et le grand âge (maintien de l’autonomie). C’est aussi une équipe épanouie du fait de la beauté du cadre de vie, la qualité des relations et le sens de notre travail (cf points précédents).
Au terme de cet atelier, beaucoup ont apprécié qu’une parole ait pu être prononcée sur ce qu’ils vivent, que ce soit beau ou difficile : « les témoins ont mis des mots sur ce que je vis », « je ne suis pas la seule à ressentir et vivre ça ». D’où est née l’idée d’un groupe métiers de la santé et du médico-social au sein du MCC pour que ces partages puissent se poursuivre entre tous les acteurs de santé. À réfléchir.
Albert Vérier, équipier en Nord-Pas-de-Calais