N ous devons réinventer la politique par le combat pour une mondialisation au service de la dignité humaine et de notre maison commune
C’est un député curieux du MCC et aux références proches de celles de notre Mouvement que Responsables a rencontré à l’Assemblée nationale. Rapporteur de la loi sur le devoir de vigilance des multinationales à l’égard de leurs sous-traitants, il présente sa vision d’une mondialisation humaniste.
Pourquoi avez-vous porté cette loi qui instaure, pour les entreprises, un principe universel de responsabilité au-delà des frontières ?
Ma conviction est qu’il existe des interdits qui ont un caractère universel et qu’il faut en leur nom poser des limites aux atteintes aux droits humains. Au-delà des frontières, les multinationales sont tenues de respecter un socle de droits internationalement reconnus. Elles ont l’obligation de prévenir de façon effective les atteintes graves à la dignité humaine et à l’environnement. Notre loi fait le pari d’une forme de confiance : en application du principe de subsidiarité, les grandes entreprises dressent elles-mêmes leur cartographie des risques car c’est elles qui connaissent le mieux le contexte territorial où s’exerce leur activité. Elles ont l’obligation de créer un plan de vigilance dont l’absence ou la faiblesse peut être condamnée. Considérer que les donneurs d’ordre en France doivent rendre compte du travail des ouvriers du textile en Asie du Sud Est ou ailleurs, est véritablement novateur.
C’est une des rares lois initiées par la société civile…
Elle a en effet su mobiliser de nombreux cercles. Avant 2012, le devoir de vigilance fait partie du plaidoyer d’une plateforme d’ONG dont le CCFD-TS. Bien que d’horizons idéologiques divers, elles réussissent à mutualiser les savoirs, à imaginer des solutions et à leur donner une traduction politique. Les syndicats, CFDT en tête, ont constitué un second cercle. Au même moment, le monde intellectuel et académique, dont le creuset et le point d’ancrage se trouvent au Collège des Bernardins, menait une réflexion de fond sur la responsabilité sociale de l’entreprise. Syndicats, entrepreneurs éclairés, ONG et chercheurs y construisent un langage commun pour réinterroger les finalités de l’entreprise et sa gouvernance. Le fruit est donc mûr quand des parlementaires de différentes sensibilités se saisissent du dossier. En additionnant leurs forces, ces cercles ont permis d’imposer la loi face à un Gouvernement sous pression très forte des multinationales.
Quelles valeurs vous ont guidé en promouvant la loi du 27 mars 2017 ?
À rebours d’une mondialisation trop souvent sauvage j’ai, avec d’autres, fait le pari de m’engager sur la voie d’une souveraineté solidaire. L’enjeu est aussi de sortir de l’impuissance publique et de redonner du sens : à l’heure de l’anthropocène qui voit nos destins liés, un peuple ou une communauté de peuples décident de poser des actes juridiques qui créent des processus d’humanisation et de protection des communs. Promouvoir une mondialisation humaine, sortir de l’individualisme matérialiste pour retrouver un destin commun, voilà une perspective républicaine réjouissante qui peut aussi ré-enchanter l’entreprise.
Quelles sont vos prochaines batailles dans ce domaine ?
Cette loi a été pionnière pour d’autres combats relatifs à l’entreprise : la mobilité des travailleurs, une comptabilité extra-financière, la justice fiscale, les écarts de salaire (je suis à ce titre favorable au facteur 12 développé par Gaël Giraud et Cécile Renouard) dessinent ce qui pourrait devenir la nouvelle entreprise européenne. Je crois que l’éthique est la vraie carte que l’Union européenne puisse jouer dans la mondialisation, en puisant dans ses racines spirituelles. Cela peut esquisser un nouveau visage de la mondialisation et redonner confiance dans la politique. Si chacun accepte de payer son jean quelques euros de plus, si l’actionnaire est prêt à recevoir une rémunération qui ne soit pas indécente, nous pouvons faire en sorte que les enfants aillent à l’école plutôt qu’à l’usine ou éviter une pollution du milieu naturel. Consommer mieux, partager la valeur, c’est à notre portée !
Comment un cadre en entreprise peut-il changer la donne ?
Je rencontre beaucoup d’étudiants et jeunes professionnels qui ont envie de donner du sens à leur travail, sont prêts à gagner un peu moins d’argent, optent pour les mobilités douces, etc. C’est très bien mais il faut changer d’échelle et réguler l’économie sinon les petites conversions sont vaines. Je leur dis : « faites de la politique, engagez-vous ! ». Je les invite à créer les conditions pour un écosystème humain qui favorise l’initiative, l’élévation spirituelle, l’éducation populaire, une société civique et le partage. J’ai envie de dire une dernière chose au MCC et à ses membres : sachez qu’il existe des cercles de réflexion politique qui travaillent sur l’entreprise et fabriquent des lois qui, si elles trouvaient une majorité, pourraient donner à la société les moyens de mieux maîtriser l’économie. Sur tous ces sujets, vous avez des choses à dire. J’ai beaucoup à recevoir de votre Mouvement et suis désireux de connaître vos idées sur nos sujets communs ainsi que vos questionnements.
Propos de Dominique Potier recueillis par MH Massuelle et Bertrand Heriard
Les promesses de la loi
Fondée sur la prévention et la responsabilisation des entreprises, la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre concerne 150 à 200 entreprises, celles ayant plus de 5 000 salariés et dont le siège est situé en France ou bien 10 000 salariés dans l’Hexagone et un siège à l’étranger. L’absence de plan de vigilance est sanctionnable. Si le devoir de vigilance est étudié à l’ONU, il a plus de chance d’aboutir en Europe à travers une directive. Beaucoup compte mettre à profit la présidence française du Conseil de l’Union européenne au 1er semestre 2022 dans ce sens.
Biographie :
- 1977: entre au Mouvement rural de jeunesse chrétienne (MRJC)
- 1994: mariage avec Anne, d’où naîtront 4 enfants
- 2001 : devient maire de Lay-Saint-Rémy (54) puis président de Communauté de Communes
- 2012 : élu député PS de Meurthe-et-Moselle, fonde le laboratoire d’idées humaniste Esprit Civique, parrainé par Jacques Delors
- 2017 : réélu