À quoi ressemblera la voiture du futur ? En Isère, Martin Lesage – co-responsable du secteur MCC de Savoie – a développé le concept d’auto-partage. Son intuition : mutualiser la voiture pour mieux utiliser les ressources limitées de la planète et penser une autre façon de vivre la ville, tout en privilégiant le collectif dans la vie de sa société coopérative. Nous sommes allés le rencontrer à Grenoble.
Il est 7h30, Jérôme referme la portière de la voiture, règle siège et rétroviseurs avant de démarrer. Pour atteindre son rendez-vous de l’autre côté de Grenoble, ce professionnel de la rénovation énergétique du bâtiment utilise une voiture qu’il partage : « inutile d’être propriétaire d’un véhicule qui ne sert pas la plupart du temps ». Son bureau d’études a adhéré à Citiz pour privilégier la voiture mutualisée, une « autre forme de transport en commun ».
« A-t-on besoin d’une photocopieuse par salarié ? », lance Martin Lesage d’un œil gaillard. Le pari de l’ancien ingénieur chez Lafarge : appliquer cette logique à la voiture. Celui qui dit n’avoir rien inventé voit les chiffres de son entreprise grossir de 20 % par an depuis 5 ans. Après 9 ans d’existence, Citiz Alpes-Loire rassemble 10 000 personnes, « 50 % de professionnels, 50 % de particuliers ». 212 voitures circulent, soit 47 personnes par véhicule. Lui aussi s’est séparé de sa voiture personnelle et témoigne des bienfaits que procurent la marche et le vélo. Partager une auto permet de relativiser la dépendance à la voiture : « un adhérent Citiz prend davantage conscience du prix d’un trajet en voiture. La facture Citiz détaille les coûts fixes comme les coûts variables, achat de la voiture, entretien, asssurance, essence… » Aujourd’hui, entretenir son véhicule coûte de plus en plus cher, selon l’INSEE[1] qui observe une hausse des prix de 3 % chaque année entre 2008 et 2013.
Il est 14h, dans les bureaux de Citiz en centre-ville de Grenoble, la réunion commence. On parle « amortissement », « kilowattheure », « délai-tampon ». Dans cette coopérative de 15 salariés, une personne = une voix. « La dimension collective nous rend plus agiles. Nous travaillons en intelligence collective. Impossible, pour un patron de coopérative, d’être autocratique, car tous les salariés sont patrons ! », glisse Martin qui trouve de la liberté à ne pas être le détenteur de la vérité. « Je ne pourrais plus faire marche arrière à présent. C’est au MCC que j’ai pu commencer à me poser la question fondamentale du but réel d’une entreprise. Comment lutter contre la financiarisation de l’économie et créer de nouveaux services utiles à la société ? Créer de l’emploi durable devient une valeur en soi, pensée en dehors de la simple rentabilité du capital investi ». À 57 ans, Martin Lesage rayonne par « la capacité d’émerveillement » qu’il a appris à entretenir. « Il faut développer l’écoute. La réaction première, face à une proposition, est de dire “Non” car l’ego est premier. L’intelligence collective n’est pas naturelle, c’est un travail. Un travail sur soi et avec les autres. »
La stratégie de Citiz, élaborée conjointement, vise à « rendre accessible un service d’auto-partage de qualité au plus grand nombre ». « Nous communiquons auprès des jeunes conducteurs dans les auto-écoles », précise Sandrine, chargée de la clientèle. « Les frais d’inscription sont offerts pour les personnes qui viennent d’avoir leur permis. » La difficulté principale aux yeux des adhérents ? Le stationnement, car des conducteurs se garent parfois sur les emplacements réservés aux voitures Citiz. « Cela rend l’échange plus compliqué. » Le travail de coopération avec la mairie n’est pas à sous-estimer, pour faire respecter de nouvelles pratiques émergentes dans l’espace public. Mais les intérêts de Citiz peuvent-ils coïncider avec l’intérêt général ? C’est ce que laisse entendre une étude financée par l’ADEME[2] : « en 2016, chaque voiture d’auto-partage remplace 10 voitures particulières. » Une solution efficace pour désengorger la ville et la rendre plus vivable et plus agréable.
Une question reste. L’avenir semble mal assuré pour Martin Lesage. Si son rêve se réalise – une ville sans voitures – il risque de ne plus avoir d’emploi. Mais là n’est pas sa préoccupation première : « Ça ne m’intéresse pas de louer des voitures, ce que je veux c’est enclencher le changement. » Le MCC n’est pas étranger à cette vocation. « Je n’étais pas un mordu de l’écologie. Les échanges avec les équipes m’ont fait évoluer. Les rencontres m’ont profondément inspiré. Elles ont été, pour moi, le levain dans la pâte. »
Lucile Leclair
[1] Étude INSEE 2008-2013, dirigée par Joan Sanchez Gonzalez. Lien : https://www.insee.fr/fr/statistiques/1281339#titre-bloc-12
[2] Enquête nationale sur l’auto-partage, ADEME, 2017, dirigée par Nicolas Louvet
Lien : http://www.ademe.fr/enquete-nationale-lautopartage-edition-2016