François Boëdec sj

Provincial d’Europe occidentale francophone de la Compagnie de Jésus depuis 2017

François Boëdec sj

Provincial d’Europe occidentale francophone de la Compagnie de Jésus depuis 2017

regard spirituel

Avec Dieu, imaginons l’avenir

À l’appui de la figure de Jonas, prophète aux périphéries, prophète malgré lui, François Boëdec  partage sa lecture de ce court livre de quatre épisodes de l’Ancien testament, en le replaçant dans le contexte des « Ninives d’aujourd’hui » : éloignées de Dieu mais insensibles à ses appels ?

Être passeurs d’avenir, voilà un défi bien grand ! Peut-on d’ailleurs « passer un avenir » ? Tout au plus aider à s’y disposer, partager les conditions que nous repérons pour qu’il puisse être le nôtre et se l’approprier. Et puis surtout, y croire. L’avenir appartient à Dieu, mais ce sont toujours les hommes et les femmes qui font l’histoire, parfois avec Dieu, parfois sans lui ou contre lui, souvent aussi, contre l’humanité. Et l’actualité, malheureusement, ne cesse de le montrer. Passeur d’avenir, Jonas le fut pourtant. Mais à sa façon, sans le désirer complètement et sans mesurer la force de la Parole qu’il portait.

À contre-cœur

Dieu avait ordonné à Jonas d’aller à Ninive, mais ce dernier trouvait que c’était une très mauvaise idée. En effet, Ninive était la capitale de l’ennemi, l’empire assyrien, et Jonas ne voulait surtout pas y annoncer la parole de Dieu. Alors Jonas part dans la direction opposée, en bateau. Vous connaissez la suite : la tempête se lève et, afin de calmer les flots, on le jette à la mer. Jonas se retrouve dans le ventre d’un poisson. Là, il se tourne vers Dieu et le remercie de ne pas l’abandonner à la mort. Trois jours plus tard, le poisson renvoie Jonas sur une plage. Il finit donc par aller, à contrecœur, à Ninive pour accomplir sa mission: un simple mot murmuré avant de s’enfuir, un mot de condamnation, en fait, suffit à convertir toute la ville qui trouve le chemin de la pénitence. Une parole qui va mettre ensemble les habitants, suscitant un peuple qui se relève.

Oui, Jonas nous ressemble bien. Il a des idées assez précises sur ce qu’il veut et ne veut pas, sur ce qu’il doit faire et ne doit pas faire. Jonas est un prophète qui ne veut pas faire son job de prophète. Ninive, pour un israélite, représente une réalité menaçante, l’ennemi qui met en danger Jérusalem elle-même. Pour lui, il faut détruire Ninive, certainement pas la sauver. Et puis, en juif croyant, Jonas pense que seul Israël a le vrai Dieu. Pourtant, c’est lui et pas un autre, que Dieu invite « en périphérie », à Ninive.

Dieu croit en nous, plus que nous-même

Il en est souvent de même pour nous. Bien convaincus de tas de choses. De là où il faut aller, de ce qui est digne d’intérêt, d’engagement. Il est touchant de voir qu’à aucun moment, Dieu s’impatiente ou se met en colère. Non, tranquillement, avec fermeté mais compassion, Il utilise les éléments pour faire comprendre à Jonas ce qu’Il veut lui enseigner. C’est bien lui qu’il veut pour porter sa parole, et pas un autre. Cette insistance de Dieu n’est d’ailleurs pas réservée à Jonas, elle traverse toute la Bible et nous rejoint dans notre propre histoire. L’appel insistant du Seigneur qui nous veut pour sa mission. Qui croit en nous parfois plus que nous-même. Un appel insistant qui devient pour nous le lieu de notre conversion, de la réinvention de notre vie.

Jonas fait le minimum, Dieu le maximum  

Alors Jonas va parler. En fait, ce n’est pas lui qui veut parler. D’ailleurs, il fait le minimum. C’est Dieu qui désire entrer en dialogue avec les habitants de Ninive. Dieu qui ne se résout pas à détruire Ninive. Dieu qui veut établir le dialogue. Et qui espère que de cette parole jetée par Jonas comme une graine en terre, surgissent une nouvelle réalité, une écoute nouvelle, des changements auxquels Jonas ne croyait pas, mais que Dieu, lui, espérait secrètement. En fait nous sommes à la fois Jonas qui met du temps à se mettre en route, et les habitants de Ninive qui ont besoin de se convertir. Ce prophète arpente les rues de Ninive en clamant sa destruction prochaine, n’est-ce pas ce qui se passe devant nos yeux ? Toutes les mises en garde des scientifiques qui nous disent depuis longtemps que si l’humanité continue ainsi, nous allons à la catastrophe. Force est de constater que nous n’avons pas changé grand-chose à nos habitudes, que nous bougeons lentement… Serions-nous pires que les habitants de Ninive ? Est-ce venu le temps de la conversion ?

Dans les crises, la charpente plus précieuse que les armures

Aujourd’hui, les crises climatiques, sociales, économiques se rapprochent. Devant l’annonce du malheur à venir : « Ninive sera détruite », que faisons-nous ? Être passeurs d’avenir, c’est peut-être d’abord tenir debout dans la vague et aider les autres à tenir debout, à rester des humains alors que les changements, la peur et sa violence peuvent très vite déshumaniser – et dans cette posture, pour tenir debout, la charpente est plus précieuse, plus utile que toutes les armures – mais c’est aussi croire pour soi et pour les autres que l’histoire avec Dieu se fait, que Dieu continue d’appeler à la vie. Oui, nous pensons que les vraies solutions aux problèmes profonds de notre époque ne viendront pas d’abord de l’économie et de la finance, si importantes et indispensables soient-elles, encore moins de postures et gesticulations de quelques-uns. Elles viendront de cette écoute personnelle et collective des besoins profonds de l’homme. Et de l’engagement de tous.

Que ces jours de Congrès nous aident à choisir le chemin étonnant de Jonas. Qui nous fera parfois faire des tours et des détours, en nous-mêmes, avec Dieu et avec les autres, dans toutes les “Ninives” d’aujourd’hui. Un chemin qui expose, qui engage, qui oblige à trouver la bonne parole, qui ose interpeler, qui ose dire la vérité, qui ose soutenir, qui ose la nouveauté, alors que rien n’est là pour assurer nos pas, sinon la promesse de Dieu. Notre Dieu est le Dieu des fidélités. Que cette certitude nous donne déjà d’avancer aujourd’hui avec la joie promise au terme de tous nos passages. Oui, nous pouvons avancer ensemble avec confiance et imaginer avec Dieu l’avenir.

Pour aller plus loin

Partager sur les réseaux