Olivier Barreau sj

Supérieur de l’équipe du centre spirituel ignatien de Penboc’h

Olivier Barreau sj

Supérieur de l’équipe du centre spirituel ignatien de Penboc’h

regard spirituel

Choisissons les projets qui ont goût de vie

Que faire ? Telle est la question que se pose Ignace de Loyola alors qu’il est revenu à Venise. Il en était parti pour se rendre à Jérusalem où il se serait bien vu passer sa vie. Et le voilà de retour à la case départ, contraint du fait de la situation géopolitique à quitter la Terre sainte. Dans le vide laissé par cet arrêt forcé, naît la question: que faire ? Et il ne cesse de la retourner en lui-même. À la suite d’Ignace, Olivier Barreau nous invite à mûrir un tel questionnement pour éclairer nos choix de vie, particulièrement lorsqu’ils sont décisifs.

Que faire ? Vers quoi orienter ma vie ? Telles peuvent être les questions qui nous habitent, alors que nos circonstances personnelles et professionnelles, nos insatisfactions ou nos désirs d’autrement, en ont ouvert l’espace. Comment et selon quoi me déterminer alors ? Comment m’y repérer dans les idées diverses qui me traversent, qui passent et qui reviennent ? Comment m’y repérer dans les peurs, les doutes… ? Est-ce que je peux me fier à ce qui me vient ? La spiritualité qui s’est développée à partir d’Ignace de Loyola a de quoi nous apporter quelque éclairage.  Profitons-en, en revenant d’abord à l’expérience fondatrice pour lui, vécue quelque temps avant cet épisode à Venise, puis en en tirant quelques enseignements.

L’expérience fondatrice d’Ignace

Nous voilà plongés au tout début du XVIe. Que fait-on quand on est un jeune homme bien-né et ambitieux en cette fin du Moyen Âge ? À quoi rêve-t-on ? Comme ses semblables, Ignace se voit et s’engage comme chevalier. Et il se voit l’auteur d’exploits chevaleresques tels qu’il en gagnera grand honneur, ainsi que le cœur d’une dame.

Or, un jour, tenu par cette ambition, il s’entête à vouloir résister aux assaillants de la citadelle de Pampelune où il se trouve, contre l’avis de ses frères d’armes. Jusqu’au moment où un boulet de canon blesse gravement l’une de ses jambes et le fait s’écrouler. La citadelle aussitôt prise, il est ramené chez lui, bien mal en point. La convalescence est longue. Pour tromper l’ennui, il demande des romans de chevalerie. Faute de mieux dans la maison, il se résout à lire des ouvrages relatant la vie du Christ et celle de saints.

Que fera-t-il dès qu’il sera rétabli ? Son imaginaire alimente ses rêves habituels de chevalerie, dans lesquels il se projette si volontiers.  Mais ses lectures suscitent en lui aussi d’autres pensées, nouvelles : il ira à Jérusalem, en pèlerin comme les saints et, tant qu’à faire, en s’y rendant pieds nus ! Et il reste là longtemps, alternant entre ces deux types de projets, pris par l’un, jusqu’à épuisement, puis repris par l’autre… Jusqu’au jour où il prend conscience que ces différentes pensées ne lui laissent pas le même goût une fois qu’il les a quittées. L’une le laisse sec et mécontent, l’autre content et allègre. Réfléchissant à cette différence d’effets, après coup, de ses pensées, il en viendra à se déterminer selon celles qui le laissaient allègre: il ira à Jérusalem.

Quelques leçons tirées

D’abord, c’est un véritable apprentissage de la liberté que fait Ignace. Jusqu’alors, il était saisi, conditionné par un seul type de rêves – ceux de chevalier. Il est intéressant de noter comment le passage par une nouvelle expérience – de nouvelles lectures – enrichit son imaginaire et suscite de nouveaux projets. Il gagne donc déjà en liberté par des alternatives qui apparaissent en lui. Mais, surtout, par la démarche réflexive sur lui-même qui s’amorce là, il sort d’un état sans conscience de lui-même, où il est collé aux projets du moment et ballotté dans leur alternance et celle de leurs effets. L’arrêt forcé a déjà favorisé une attention à ce qui se passe en lui. Le recul pris et la réflexion sur les différences de mouvements intérieurs finissent par lui ouvrir la voix d’un choix, pour lui-même et par lui-même.

Le fait de se déterminer ainsi va transformer l’esprit d’Ignace. Une fois déterminé par le choix qu’il a posé, l’alternance qui l’agitait cesse. Son esprit et son cœur s’unifient. Ainsi, il peut avancer dans le projet qu’il a choisi, dans sa mise en œuvre, y mobilisant l’ensemble de ses facultés et de son énergie. Il pose de petits choix pratiques avec détermination. Il est confirmé dans son choix et entre dans le réel.

Spontanément, quelle attention accordons-nous, quelle valeur attribuons-nous à tous les scenarii dans lesquels nous nous projetons et qui vont et viennent, comme pour Ignace ? De par leur caractère passager et leur nature, parfois simple et peu élevée, nous sommes tentés de les négliger. C’est pourtant cela dont Ignace, et la spiritualité ignatienne à sa suite, fait la matière de base d’un discernement. Car c’est ce qui nous vient, nous habite, nous anime. Et la spiritualité se joue à hauteur d’homme !

Plus précisément, c’est aux effets de tout ce qui nous traverse  que la spiritualité ignatienne s’intéresse, dans leurs différences. Certains projets qui nous viennent nous laissent allègres, et semblent comme à portée de main, sans forcer ; d’autres nous laissent inversement secs et mécontents. Ignace, acquérant une intelligence de sa propre expérience à la lumière de la tradition spirituelle chrétienne, ira jusqu’à dire que les premiers nous sont inspirés par Dieu. Et ainsi, puisqu’ils ont goût de vie, goût de Dieu, nous pouvons nous y fier et les suivre.

Cette première expérience fondatrice pour Ignace s’approfondira. Peu à peu, il en fera une explicitation et une universalisation à travers les Exercices spirituels qu’il proposera à d’autres – des manières de se mettre en expérience et de prêter attention à ce qui se passe en soi, afin de se déterminer selon la vie à laquelle Dieu nous invite. Plus particulièrement, des règles vont aider celui qui cherche à discerner : elles proposent de sentir et reconnaître en quelque manière les diverses motions qui se produisent dans l’âme, les bonnes pour les recevoir et les mauvaises pour les rejeter. En bref, sentir intérieurement pour mieux choisir.

Dans le quotidien comme dans les choix plus conséquents

Cette attention aux pensées qui nous viennent et à leurs effets peut être d’une grande aide dans notre quotidien. Elle nous permet de petits choix intérieurs. Ainsi, par exemple, comment j’aborde ma journée : dès le matin, quelles sont les pensées sous-jacentes à ces mouvements d’inquiétude qui me traversent; quelles sont les autres voix en moi qui m’invitent inversement à la confiance ? À partir de là, quelle voix je choisis de suivre ? En somme, il s’agit de se piloter. La spiritualité ignatienne est pertinente pour aider dans des choix conséquents, dans les différents champs de sa vie.

Cela n’aura pas échappé au lecteur : à travers les deux moments racontés ici, c’est dans des temps d’arrêt forcé qu’Ignace semble poser ses choix. Mais qu’on se le dise, inutile d’attendre un boulet de canon sur sa jambe ou une nouvelle période de confinement pour s’arrêter de soi-même, pour prêter un peu d’attention à ce qui se passe en soi et pour avancer, en liberté, d’un petit pas de plus ! Cela peut commencer aujourd’hui…

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