Nathalie Bequart
Diplômée de HEC, religieuse xavière, sous-secrétaire du secrétariat du synode des évêques à Rome
Nathalie Bequart
Diplômée de HEC, religieuse xavière, sous-secrétaire du secrétariat du synode des évêques à Rome
regard spirituel
Sur le chemin de la synodalité, trouver les voies de la réforme nécessaire
Lors de la table ronde du dimanche 31 octobre organisée par le MCC au rassemblement ignatien de la Toussaint 2021 à Marseille et intitulée « De l’adversité à la fraternité, cultivons la vertu de l’espérance », Nathalie Becquart s’est confiée sur ses raisons d’espérer en l’Église, en particulier au travers du chemin de synodalité initié par le pape François. Elle a offert son éclairage spirituel marqué par une approche théologique pratique et ancré dans son expérience propre, notamment de navigatrice.
Les voyages en mer sont souvent risqués mais forment la solidarité et le soutien mutuel, qui sont cruciaux, des équipages. Dans ce registre, deux expériences m’ont particulièrement marquée.
À l’occasion d’une première régate en Méditerranée comme skipper, lors de mes études à HEC, un fort mistral a entraîné d’importantes difficultés pour ramener le bateau de nuit au port. J’ai alors fait le choix de remettre toute ma confiance en Dieu. Ce type d’épreuve est abrupt mais l’on sait que la tempête va finir. « De mémoire de marin, on n’a jamais vu une tempête ne jamais finir », comme le dit ce proverbe que j’aime à me rappeler ou partager à ceux qui traversent des moments d’épreuve. Ainsi à l’aube, le bateau est finalement arrivé sans incident majeur à Bandol dans le calme retrouvé, le vent finissant par tomber au lever du soleil. La voile est une école de la confiance. Le souvenir de cette arrivée paisible au soleil levant après cette nuit de tempête m’est resté comme une image et expérience forte de ce que peut être la Résurrection.
Une deuxième expérience a été fondamentale. Pour les JMJ de l’an 2000, je me suis rendue à Rome avec le réseau Magis (alors réseau jeunesse ignatien) et l’association Vie en Mer par bateau, à nouveau en tant que skipper. Lors du passage du cap Corse, un filet non signalé s’est pris dans le moteur, mettant notre embarcation en danger et provoquant une vive inquiétude. Heureusement nous avons pu être aidés et remorqués par un des quatre autres bateaux de notre escadre ignatienne. Ce pèlerinage en mer de dix jours en compagnie de huit jeunes et d’un jésuite accompagnateur spirituel de notre équipage constituera une réelle expérience de partage et de confiance mutuelle. On ne peut pas s’en sortir tout seul ! L’arrivée à Rome après cette expérience forte de solidarité et communion me donnait un avant-goût du Royaume.
Prendre le cap de la solidarité
Comment ne pas remarquer que ce sont des pêcheurs rompus aux navigations en barque sur le lac de Tibériade que le Christ appelle à sa suite en premier pour en faire ses apôtres ? Il les rejoint sur le lieu même de leur travail quotidien, marqué par les longues nuits de veille et une solidarité intense entre tous ceux qui exercent ce métier dangereux et aléatoire. Les expériences de vie en Église permettent aussi de vivre ensemble et avec une confiance mutuelle.
La synodalité est à l’image d’un voyage où l’on est tous dans la même barque. Le pape François a utilisé cette figure lors de sa bénédiction Urbi et orbi du 25 décembre 2020, à propos de la pandémie de la Covid-19 qui nous a fait redécouvrir un destin commun en partage : « Nous sommes tous dans le même bateau ». Nous voyons bien que la seule façon de sortir de cette pandémie est d’agir ensemble en prenant le cap de la solidarité. Nous sommes appelés à faire partie de l’équipage avec les autres pour chercher ensemble comment naviguer sur une mer traversée par des courants différents. Cette crise est un appel à réfléchir et à agir en collaboration pour discerner la route à suivre et manœuvrer adéquatement pour faire avancer le bateau dans la bonne direction.
Église et synode sont synonymes
La synodalité apparaît comme une vision puissante pour l’Église aujourd’hui, de l’ordre d’une vision dynamique de l’Église à même de parler à nos contemporains et d’inspirer nos pratiques ecclésiales et missionnaires pour relever les défis de l’annonce de la foi dans le monde contemporain. Car la synodalité donne de penser l’Église en processus de renouvellement à partir d’une théologie du Peuple de Dieu qui souligne que tous les baptisés sont disciples missionnaires. Ancrée dans Vatican II et dans l’expérience concrète des synodes, en premier lieu le synode des évêques mais aussi les multiples synodes diocésains, la synodalité est en effet de l’ordre des pratiques ecclésiales. Elle est en fait « l’Église dans l’histoire » qui se traduit dans et par un « cheminer ensemble ». Elle fait partie de la nature même de l’Église. Elle en est « une dimension constitutive » ou encore « une caractéristique essentielle », c’est pourquoi on peut dire avec Jean Chrysostome cité par le pape François, « Église et synode sont synonymes ». La synodalité se déploie dans le temps à travers des processus. Elle est une manière d’incarner concrètement les quatre principes donnés par le pape François dans son exhortation apostolique La joie de l’Évangile au chapitre 4 : « le temps est supérieur à l’espace », « l’unité prévaut sur le conflit », « La réalité est plus importante que l’idée », « le tout est supérieur à la partie », que l’on pourrait aussi qualifier de principes synodaux.
Le peuple de Dieu en mouvement
Dans son discours commémorant le 50e anniversaire de l’institution du synode des évêques, le 17 octobre 2015, le pape a clairement mis en lumière la voie de la synodalité comme celle « attendue par Dieu pour l’Église du troisième millénaire ». Il a déclaré que la synodalité – « Cheminer ensemble – laïcs, pasteurs, l’évêque de Rome » – est « constitutive de l’Église ». Son approche est ancrée dans une réévaluation de la théologie du peuple de Dieu du Concile Vatican II – en particulier Lumen Gentium chapitre 2 – influencée par la théologie argentine du peuple qui a façonné son ancien ministère en tant que jésuite et archevêque de Buenos Aires. Il souligne en particulier le sensus fidei, ou sens de la foi des fidèles, et l’égale dignité de tous les baptisés appelés à être des disciples missionnaires. La synodalité est une façon d’être et d’agir, qui favorise la participation de tous les baptisés et des personnes de bonne volonté. Elle signifie « marcher ensemble » dans une Église de pèlerins, une Église en mouvement, l’Église du peuple de Dieu, où chacun a une voix et prend une part active quels que soient son âge, son sexe ou son état de vie.
Les attitudes spirituelles
La synodalité est le style d’une Église fraternelle faite de pèlerins missionnaires, marchant ensemble. Elle permet de passer d’une Église pyramide hiérarchique à une Église incluant l’ensemble des baptisés, pour vivre une expérience de soutien mutuel.
Pour entrer dans ce style et cette pratique de la synodalité, nous avons besoin de cultiver et de déployer des attitudes spirituelles : l’écoute, le dialogue, l’empathie, le partage, la liberté intérieure et la liberté de parole, l’humilité, la recherche de vérité et surtout la foi et la confiance en Dieu, l’ancrage dans la prière et l’eucharistie. Confiance en l’Esprit saint qui souffle en chacun et dans le groupe qui chemine ensemble par la synodalité. Car l’expérience synodale est avant tout une expérience de l’Esprit, c’est un chemin ouvert, non tracé d’avance qui se tisse par la rencontre, le dialogue et le partage qui vient élargir et déplacer la vision de chacun. C’est un chemin d’humanité et de fraternité qui nous fait devenir « une famille », une communauté.
Conversion permanente
Avec le pape François qui fait du synode des évêques un instrument important de son projet de réforme de l’Église en vue de sa transformation missionnaire, la synodalité se déploie comme une vision dynamique pour l’Église, une Église centrée sur la miséricorde appelée à la conversion permanente. Synodalité, réforme de l’Église et conversion sont donc intrinsèquement liées. Nous marchons ensemble en nous transformant les uns avec les autres
« La réforme de l’Église est une œuvre collective et l’œuvre d’une génération » expliquait Yves Congar, religieux dominicain, théologien, ayant joué un rôle important au Concile Vatican II, dans son livre Vraie et fausse réforme dans l’Église. Chacun a un rôle à jouer en discernant selon ses talents et sa vocation, puisque tous les baptisés sont appelés à être promoteurs et acteurs de la synodalité. Nous avons à trouver les lieux et la place à laquelle nous sommes appelés. Dieu donne toujours la grâce de vivre son appel. Dans ce chemin de synodalité, nous espérons la grâce de trouver les chemins de la réforme nécessaire.