Frédéric Baule

Responsable de la gestion des risques de marchés de la branche Marketing d’une société pétrolière

Frédéric Baule

Responsable de la gestion des risques de marchés de la branche Marketing d’une société pétrolière

analyse

Dans l’entreprise : à quoi nous engage notre responsabilité personnelle

Ne nous exonérons pas de notre responsabilité personnelle en nous abritant derrière l’anonymat et la lourdeur du rouleau compresseur de l’entreprise ou de la machine économique, capables de violence et de prédation, avertit en substance Frédéric Baule. Il est du ressort de chacun d’entre nous de faire advenir une pratique économique donnant la priorité à l’homme.

En matière économique notre responsabilité personnelle ne se limite pas au rôle que nous assigne l’institution qui nous emploie. Car en faisant nôtre ce rôle nous mobilisons nos capacités au service d’un collectif qui poursuit ses propres objectifs et déborde le plus souvent la sphère relationnelle dans laquelle s’inscrit notre vie professionnelle. Contribuant ainsi de façon singulière au fonctionnement de cet ensemble, nous devenons de fait solidaires de tout acte posé par chacun de ses acteurs. Dès lors notre emploi – malgré nos propres visées éthiques – nous rend partie prenante de toute violence économique induite par notre entreprise.

Accroître, chacun, l’utilité sociale de nos entreprises

Nul acteur des sphères marchande et financière n’échappe à cette responsabilité pour le collectif dont il est membre. Car une entreprise, quelle qu’en soit sa forme, ne peut faire l’économie de la prédation. Entreprendre, n’est-ce pas en effet s’organiser pour entre – prendre, pour « prendre entre » ? Pour prélever quelque chose du bien commun, dans l’espoir qu’en transformant ce réel, soit produite une forme d’utilité sociale ? Utilité sociale pour certains, dont on peut espérer qu’elle dépasse le manque simultanément créé – pour d’autres – par cette prédation originelle. Mais rien n’est moins sûr !

Se savoir responsable conduit à interroger le sens de notre participation à l’économie de notre vivre ensemble. Et nous voici invités à évaluer, à frais nouveaux, à notre échelle individuelle d’agent économique singulier, comment composer avec ce qui se joue aujourd’hui. Nous voici – dans le contexte propre aux actes que nous posons et aux productions sociales de l’entreprise collective à laquelle nous prenons part – tels de multiples Zachée (Lc 19,1-10), appelés à déterminer comment faire pour « être éthiques » dans nos choix, comment accroître l’utilité sociale de notre entreprise, plutôt que d’en renforcer la dimension prédatrice. De risquer la violence.

Faire que l’être au travail soit une bonne Nouvelle

Comment éviter de contribuer à la violence économique et faire de « l’être ensemble au travail » une Bonne Nouvelle ? Les Prophètes eux-mêmes ont eu à affronter des crises ; par exemple, l’exil du peuple d’Israël. Ils ont eu à apprendre comment désigner le doigt de Dieu dans l’aujourd’hui de l’homme. En proclamant le jour du Seigneur. En annonçant l’aujourd’hui de son Royaume : quand les aveugles voient ; quand les sourds entendent ; quand les chaînes des prisonniers sont brisées ; quand un crucifié est désaltéré par un anonyme qui a accueilli son « j’ai soif » (Jn 19, 28-30). Entendre au cœur de nos entreprises le « j’ai soif », que nous adresse celui devant qui passe notre route, est possible. Cela suppose de ne pas le réduire à l’anonymat d’un facteur de production, à une « masse salariale », simple variable d’ajustement. De s’ouvrir à son visage. De découvrir avec les yeux de l’autre, comment faire advenir, ensemble, une pratique économique donnant priorité à l’homme.

Le temps long du processus démocratique

Et quand nous nous surprenons un jour à dire « plus jamais cela ! » devant tant d’injustice ? En matière de structure économique, nous le voyons : ce qui est, fonctionne. Inexorablement. A l’identique. Pour le meilleur comme pour le pire. Et rien ne change sans impulsion, sans le processus démocratique qui incite le politique à assigner une finalité au travail des professionnels de la régulation. Or le temps du politique, des media et des marchés n’est pas celui du régulateur. Car, pour élaborer des règles qui contribueront à l’édification des conditions d’un monde meilleur, il faut un temps long – qui renvoie à la sagesse des générations – et de la constance. Constance que seule l’interpellation bienveillante du politique par des veilleurs éthiques peut contribuer à entretenir.

Chrétiens, nous sommes appelés, personnellement, et en Église, à mobiliser nos expertises pour devenir ces veilleurs éthiques dont notre monde a besoin pour « réformer le capitalisme » et canaliser la violence économique. C’est là une tâche urgente pour nos mouvements d’Église.

 

Extraits de Responsables n°419 – juillet 2013

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