Dominique Potier
Agriculteur et député PS de la 5e circonscription de Meurthe-et-Moselle. Il est membre de la commission des affaires économiques à l’Assemblée nationale.
Dominique Potier
Agriculteur et député PS de la 5e circonscription de Meurthe-et-Moselle. Il est membre de la commission des affaires économiques à l’Assemblée nationale.
témoignage
Dans les crises, sachons articuler temps long et urgence
Si la politique peut être perçue comme lieu de désespérance, Dominique Potier se montre confiant en l’Esprit à l’œuvre dans les affaires publiques et le monde économique. Invité de la table ronde organisée par le MCC au rassemblement ignatien de Marseille en 2021, il témoigne à l’aune de son expérience d’agriculteur et de député.
Dans mes engagements, j’ai toujours refusé de me situer dans une posture extérieure ou critique qui m’aurait permis de garder les mains propres. J’ai préféré choisir le compromis, toujours délicat, pour des causes insatisfaisantes dans des structures imparfaites.
Penser l’avenir
Politiquement, je me situe au centre gauche. Fils d’agriculteur et agriculteur moi-même, je suis enraciné en Meurthe-et-Moselle, marqué par l’action catholique, j’ai été formé et armé pour être un réformateur au sein de la vie politique. Mon besoin d’initiative s’est toujours doublé d’un souci permanent de penser l’avenir qui m’a fait poursuivre des études de géographie et de théologie au début de ma vie professionnelle. Très tôt, j’ai milité au sein d’associations caritatives et de solidarité internationale et suis devenu en 2001 maire de mon village puis, en 2008, dans un contexte de crise, président de la communauté de communes du Toulois.
Elu député en 2012, j’ai eu l’honneur d’être rapporteur de la loi sur le devoir de vigilance des multinationales. Elle a permis de lever un voile opaque entre les donneurs d’ordre, ceux qui ont le pouvoir économique, leurs filiales et leurs sous-traitants. Le droit crée désormais une responsabilité juridique jusqu’au plus éloigné des responsables de production. Ce qui est visé dans ce cadre, c’est le travail des enfants, le travail forcé, tout ce qui attente aux droits humains et à l’environnement. Il s’agit d’une loi tout à fait innovante qui est en train de devenir une directive européenne à l’issue d’un incroyable parcours du combattant.
Ce combat est singulier parce qu’il s’est effectué au carrefour de la société civile, du monde intellectuel et du monde spirituel. Il est d’abord le fruit d’une indignation qui a pu s’exprimer dans des rencontres avec des gens aux sensibilités très diverses, celle de la révolte manifestée par le cri des pauvres et le cri de la terre (Laudato si’, 246). C’est en effet l’objet de cette loi de créer un principe de responsabilité sur ces deux enjeux-là.
Affermir ses convictions
Je crois profondément que si je n’avais pas été enfant d’une famille généreuse et engagée, formé au sein de la Jeunesse chrétienne rurale, si je n’avais pas été élève d’un lycée agricole où l’école de la République poursuit l’enseignement de déchiffrement du monde, et si je ne m’étais pas inscrit dans un territoire où j’ai pu éprouver l’importance du temps long, rien ne serait arrivé. Et peut-être aurais-je abandonné en cours de route si je n’avais pas eu la chance de rencontrer à Nancy et au Châtelard des jésuites et des compagnons de route qui m’ont éveillé à cette spiritualité ignatienne tournée vers le social.
S’appuyer sur des collectifs
Le Collège des Bernardins a été un creuset de cette loi par l’organisation d’un cycle qui a duré neuf ans et a profondément inspiré tout un travail législatif, la loi Pacte comme celle sur le devoir de vigilance des multinationales. Cette fécondité vient d’un lieu où dans le temps long une matrice s’est créée, capable de faire se rencontrer des entrepreneurs, des syndicalistes, des ONG et des intellectuels d’une dizaine d’universités de France et d’Europe.
Une telle matrice aurait été relativement inaudible s’il n’y avait pas eu un relais dans un autre collectif aux racines profondément humanistes : le laboratoire d’idées humaniste Esprit civique, que j’ai cofondé, animé par des gens de sensibilités très diverses, héritiers du catholicisme social en passant par Emmanuel Mounier, Emmanuel Levinas et Paul Ricœur; tous étaient engagés dans des ONG, associations, dans la mouvance de Jacques Delors, Edgar Pisani, Jérôme Vignon, ancien responsable national du MCC et des Semaines sociales de France.
Repenser l’entreprise comme acteur politique
Je crois pouvoir dire que, dans la mouvance ignatienne, j’ai participé à un mouvement aussi lent que puissant visant à repenser l’entreprise comme acteur politique dans la transformation et l’humanisation du monde et en faire un enjeu législatif. Dans cette perspective, accordons un grand soin aux moyens que l’on met en œuvre pour parvenir à nos fins, car le plus important n’est pas la raison d’être mais la façon de l’articuler avec une manière de faire. La qualité des moyens justifie la justesse de la fin.
Je recherche une voie qui permette de dépasser le débat stérile entre nationalisme et mondialisme sans foi ni loi et se raccrocher à ses racines spirituelles pour donner une réponse aux enjeux de demain dans une France en crise. Il s’agit d’une troisième voie, celle d’une souveraineté qui permette à chaque peuple de porter l’idée de la sauvegarde de la dignité humaine et de la maison commune. Je crois profondément que, pour former son cœur à l’espérance, il faut préserver nos facultés d’invention, de fraternité, d’humanité, en articulant temps long et urgences.
Propos recueillis par Solange de Coussemaker.