Charles Hervieux

Aumônier national du MCC

Charles Hervieux

Aumônier national du MCC

regard spirituel

Charité et pardon au cœur de nos relations

La pensée sociale chrétienne place la charité – ou amour – au cœur des relations humaines (voir cet article). “La teneur spirituelle d’une vie humaine est caractérisée par l’amour […] l’amour passe en premier, ce qui ne doit jamais être mis en danger, c’est l’amour ; le plus grand danger, c’est de ne pas aimer” (Fratelli Tutti, 92). Mais que signifie concrètement vivre la charité dans notre quotidien ? Charles Hervieux sj nous livre quelques pistes.

La charité ou l’amour – il s’agit du même mot dans le Nouveau Testament – est le reflet le plus parfait de Dieu en nous. « Aimez-vous… comme je vous ai aimés ». Il faut prendre au sérieux ce comme : quand nous aimons, nous sommes comme le Seigneur. Ce caractère divin, s’il nous est gracieusement accordé, ouvre en nous la gratuité, le don et le pardon.

Le présupposé favorable : une règle pour vivre la charité

Nous sommes des êtres de relation. La charité implique que le chrétien, quel que soit le lieu où il est envoyé et le travail qu’il fait, a pour mission d’aller à la rencontre de l’autre et qu’il soit capable d’échanger positivement avec lui. Il est nécessaire pour cela de créer des conditions de dialogue. Dans les Exercices spirituels d’Ignace de Loyola, une règle s’applique entre celui qui donne et celui qui reçoit les exercices :

Pour que celui qui donne les exercices spirituels comme celui qui les reçoit s’aident mutuellement et qu’ils en tirent profit, [dans tout échange] il faut présupposer que tout bon chrétien doit être plus enclin à sauver la proposition du prochain qu’à la condamner ; et s’il ne peut la sauver, qu’il s’enquière de la manière dont il la comprend et, s’il la comprend mal, qu’il le corrige avec amour. Si cela ne suffit pas, qu’il cherche tous les moyens appropriés pour que, la comprenant bien, il se sauve.

Cette règle peut être généralisée à toute rencontre. Nous sommes souvent prompts à juger et condamner plutôt qu’à « sauver » la proposition de l’autre. Ce qui est en jeu ici, c’est de préserver la relation. Toute relation humaine est en effet possiblement en danger. En sauvant la proposition, de l’autre, je me sauve aussi : lorsque quelqu’un m’adresse la parole, il s’expose et prend le risque d’être sauvé – reconnu dans sa dignité et pour ce qu’il est – ou condamné.

Dans toute parole il y a de l’ambiguïté possible source de malentendus. Il faut parfois deviner ce qu’elle veut dire au-delà de ce qui est dit. Si je reste fixé sur l’énoncé d’une parole mensongère, mon réflexe est de condamner l’autre puisqu’il me condamne. Et je me condamne moi-même en me sentant condamné. Pour que la relation soit sauvée malgré tout, il faut s’enquérir de ce qui veut se dire mais reste non-dit, par de patientes approximations et avec amour. La visée est toujours que l’autre soit sauvé. Un vrai dialogue peut dans ces conditions s’engager.

Charité n’est pas passivité, pardonner n’est pas oublier

Il arrive que l’échange apparaisse impossible. Doit-on pardonner ? Oui, toujours (Mt 18, 22) ! On sait pourtant que les milieux professionnels, entre autres, précisément parce qu’ils sont humains, ne présentent pas toujours un environnement propice au pardon. Performance et rentabilité obligent, c’est un monde dur, sans pitié qui n’accepte pas la moindre trace de faiblesse.

La charité chrétienne n’est pas toujours bien comprise. Pardonner trop vite, n’est-ce pas une faiblesse plutôt qu’une force ? Sous prétexte que l’amour serait plus puissant que tout, faut-il accepter le mal qui nous est fait ? N’est-ce pas un déni plutôt qu’un pardon vrai ? Il n’est jamais de réconciliation facile. Quand des blessures existent, il faut les affronter en vérité. L’évangile nous demande de nous aimer tous, sans exception. « Mais aimer un oppresseur, affirme le pape François, ce n’est pas accepter qu’il continue d’asservir, […] c’est œuvrer de différentes manières pour qu’il cesse d’opprimer […] Il faut le faire, et le pardon non seulement n’annule pas cette nécessité, mais l’exige », FT 241.

Le pardon, ce n’est pas tenir pour rien le mal commis. Ce n’est pas l’oublier. C’est même possiblement affirmer sa gravité, et l’impunité serait injuste. Le pardon n’est pas l’approbation de l’injustice. Le pardon ne va jamais de soi. Respecter le commandement de s’aimer les uns les autres ne peut s’effectuer que dans la finitude et les limites de notre humanité. Nous avons ici besoin d’un sauveur qui nous délivre.

Dieu est Amour

Selon Benoît XVI, « le service de l’amour » n’est jamais de l’ordre du superflu et l’amour « sera toujours nécessaire, même dans la société la plus juste. » (Deus Caritas Est, 28) Quelle que soit la place de chacun dans la société et son métier, aucune situation n’échappe au besoin de la charité. Bien exercer son métier est un premier élément de charité, mais le chrétien ne peut se contenter de sa seule compétence. Il se distingue par une “attention du cœur” de sorte que ceux avec qui/pour qui il travaille reconnaissent sa “richesse d’humanité”, deux expressions du pape. Ce n’est pas seulement ce que l’on fait qui compte. Dans tout ce que l’on fait, l’amour doit se laisser percevoir. « Quand je distribuerais tous mes biens en aumônes, quand je livrerais mon corps aux flammes, – quand j’exercerais mon métier de la meilleure des façons – si je n’ai pas la charité, cela ne me sert de rien. » (1 Cor 13)

Pour cela, il importe que le chrétien vive sa foi en Jésus-Christ qui seul peut ouvrir notre esprit à autrui. En prenant conscience qu’Il s’est donné pour nous jusqu’à la mort, le désir nous vient de ne pas vivre seulement pour nous-mêmes mais par lui, avec lui et en lui, pour les autres. Cela requiert de se nourrir de la force du Christ par la prière et une vie sacramentelle. L’eucharistie notamment est d’une importance capitale. La messe n’est pas qu’une célébration, c’est un engagement : « Faites cela en mémoire de moi ». Si l’Eglise célèbre inlassablement la messe, c’est parce que dans ce sacrement se trouve la source de toute charité chrétienne. Dans ce sacrement, le Christ se rend présent et agissant, capable d’emplir notre mémoire et notre intelligence, capable de transformer notre cœur.

Toute forme de charité doit être gratuite. Cette gratuité est le meilleur témoignage du Dieu Amour de Jésus-Christ en qui l’on croit : Lui seul nous donne d’aimer. La charité doit se vivre gratuitement car elle est une grâce. On ne peut la vivre qu’humblement. Ne nous croyons pas capable, personnellement, de changer le monde. Agissons à notre mesure là où nous sommes, conscient des contraintes, en poussant ou en brisant les murs que nous pouvons, dans l’Esprit du Christ et surtout avec sa grâce.

 

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