Matthieu Piccoli

Gériatre

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témoignage

Matthieu Piccoli, un jeune gériatre dans la crise du Covid

Au sein des hôpitaux parisiens publics Broca et Cochin, le docteur Matthieu Piccoli évolue dans une équipe mobile de gériatrie, ainsi qu’une équipe mobile d’accompagnement et de soins palliatifs. Assurant une consultation “mémoire” et de gériatrie générale, président de l’association des jeunes gériatres (AJG) depuis 2019, il s’est retrouvé au premier rang de l’épidémie au printemps 2020.

Vous avez 35 ans. Quel itinéraire vous a mené en gériatrie ?

En sixième année d’études de médecine, j’ai effectué un stage en gériatrie où j’ai découvert une prise en charge globale de la personne, au plan médical, biologique, physique et prenant en compte les aspects sociaux. Pouvoir à la fois améliorer la santé, la qualité de vie des personnes, leur confort tout en apprenant beaucoup de ce qu’elles ont vécues, c’était à la fois très riche sur le plan intellectuel et humain. J’avais trouvé ma voie! Après l’internat, je suis devenu chef de clinique puis praticien hospitalier dans le groupe Assistance publique-Hôpitaux de Paris (APHP) Centre – Université de Paris. En parallèle de mes études médicales, j’ai obtenu un master de recherche en éthique médicale à l’université Paris-Descartes. Actuellement en doctorat, mon sujet de thèse concerne l’accompagnement des personnes atteintes du syndrome de Diogène.

Quel regard portez-vous sur la crise sanitaire ?

Comme toute crise, elle a le pouvoir de renforcer les problématiques préexistantes. Elle est le fruit de la rencontre entre une maladie virale, un ensemble de pathologies chroniques, tels l’hypertension, l’obésité ou le diabète, et des facteurs socio-économiques. Tout le monde peut être touché, pas seulement les personnes âgées. À son début, les regards étaient braqués sur les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) dont la vulnérabilité est habituellement passée sous silence. L’opinion courante était que la mort de personnes âgées, perçues comme principales victimes du virus, n’était pas grave.

La crise a par ailleurs accentué le clivage entre deux visions de la santé. Celle de la santé publique, avec le développement de statistiques très précises destinées à prendre des mesures pour protéger la population, comme le confinement, le couvre-feu, la distanciation, le port de masques, et pour préserver les capacités du système de santé. Cette conception collective s’oppose à l’autre vision qui prévaut habituellement: plutôt individuelle, laissant à chacun une capacité de choix. Enfin, on a été confronté au développement de “l’âgisme”, c’est-à-dire des discriminations à l’égard des personnes âgées que l’on a voulu artificiellement opposer aux jeunes, à l’origine de prises de position discutables.

Dans ce contexte, quelle a été la stratégie déployée par les pouvoirs publics ?

Les recommandations de la Haute autorité de santé (HAS), sur lesquelles le gouvernement appuie sa stratégie vaccinale, reposent sur deux grands piliers : réduire la morbidité attribuée à la maladie sous toutes ses formes et maintenir l’activité économique du pays, particulièrement le système de santé déjà fragile. Elles donnent la priorité aux personnes qui sont les plus à risque de développer des formes graves. Une personne sur six dans notre pays est vulnérable! Tout le monde peut être concerné, car le virus circule dans l’ensemble des classes d’âge. Nous sommes, chacun, renvoyés à notre propre vulnérabilité.

Que faire pour éviter d’opposer les générations entre elles ?

Une solution est de considérer cette crise de manière plus large et d’utiliser le concept de “syndémie”, partant du constat qu’une pandémie aggrave une situation d’inégalité et de vulnérabilité préexistantes, sous l’effet d’un cercle vicieux. Je préfère raisonner de façon globale. Il faut en effet inclure les dimensions sociales, économiques, psychologiques, culturelles, politiques et environnementales. Regardons les liens entre les générations : les grands-parents gardent les petits-enfants, beaucoup de personnes âgées sont investies dans les associations, etc. Le monde associatif, les services entre générations et le monde économique ne peuvent fonctionner les uns sans les autres.

Comment vous situez-vous personnellement dans cette crise ?

Mon ouverture à l’autre et à ses fragilités est assez ancienne et je la vis de façon plus intense maintenant que je sors de trois mois de convalescence, après une infection éprouvante à la Covid. Comme gériatre, je cherche à donner des réponses accessibles pour que les gens soient acteurs de leur santé. Dans ce sens, je vois une dimension spirituelle réelle dans mon métier sans aller jusqu’à parler de vocation, concept qui pour moi relève du religieux. Confronté à la fin de vie et à la mort, je ne peux me passer du travail en équipe pour mieux accompagner les patients : c’est une mécanique horlogère de haute précision permettant à chacun de jouer sa partition. Mon rôle est de mettre de l’huile dans les rouages pour trouver avec les autres une solution destinée à aider la personne à mieux vivre, retrouver un meilleur état de santé ou son autonomie.

Quand la mort survient empêcher la personne de souffrir et accompagner son entourage, de sorte que ce moment soit le moins pénible possible, peut apporter une grande joie. Cela ouvre à des relations d’autant plus authentiques et profondes que le gériatre prend la personne dans sa globalité, tenant compte des priorités de vie de chacun.

Être immergé dans l’intergénérationnel, c’est très intime. Parfois les patients me confient leurs souvenirs. Cette mémoire m’apparaît fondamentale pour devenir “passeur d’avenir” et cela rejoint nos préoccupations actuelles : avoir la mémoire de la vaccination, en particulier celle contre la poliomyélite qui a permis de parvenir à sa quasi-éradication, au moment où celle contre la Covid-19 arrive comme une issue, est porteur d’espoirs.

 

Propos recueillis par Solange de Coussemaker, membre du comité de rédaction.

 

 

 

 

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