Marie-Caroline Bustarret
Enseignante-Facultés Loyola Paris
Marie-Caroline Bustarret
Enseignante-Facultés Loyola Paris
analyse
Quelle réponse aux nouveaux besoins spirituels ?
Un constat, nos contemporains ont de nouvelles attentes spirituelles, les chrétiens en particulier. Mais quelles sont-elles ? Lors de la session des accompagnateurs spirituels des 12 et 13 mars à Paris, Marie-Caroline Bustarret, enseignante aux Facultés Loyola Paris et ancienne rédactrice en chef adjointe de la revue Christus, est venue apporter son regard.
Un monde en crise écologique, politique, économique et un individualisme renforcé, les nouvelles technologies, les nouveaux modes de travail, des vies de famille plus éclatées, des institutions fragilisées… L’individu est à la fois davantage renvoyé à lui-même (panne de la transmission d’une génération à l’autre ; sur lui repose la responsabilité de son propre bien être ; il faut qu’il trouve en lui les ressources pour affronter les crises) et en même temps en permanence relié à d’autres (Internet/moyens de transport).
Des besoins et une quête de ressources spirituelles
Tous ces bouleversements sont des sources de tensions qui nous affectent individuellement et collectivement. Provoquant des peurs mais créant aussi des désirs d’une vie qui ait du sens, au-delà de nos seules capacités de production et de consommation, désir de faire des pauses, de sentir intérieurement les choses, la nature.
Les demandes et quêtes “spirituelles” viennent en réponse à ces besoins. On cherche des ressources pour traverser des vies difficiles. Cela peut passer par un besoin d’appartenance, une demande de “religion” plus forte, ou “surtout pas de religion”, ou un recours à des religions ou traditions spirituelles importées et considérées comme acceptables car sortant de notre cadre culturel (notamment les traditions orientales).
D’où le surgissement de quêtes spirituelles qui prennent bien des formes : développement personnel, philosophies-sagesses nouvelles (L. Ferry, A. Comte-Sponville), religions orientales (M. Ricard, Zen, méditation), ésotérismes, chamanismes, sagesse aztèque, engagement “écologico-spirituel”, etc. Le réinvestissement du religieux traditionnel relève de ce mouvement, il touche les trois grands monothéismes et donc l’Église catholique aussi.
Entrer dans la vie spirituelle, c’est s’approcher de Jésus, le suivre, le laisser venir à nous et le laisser prendre soin de nous.
Nous voyons arriver dans les mouvements comme le MCC, des personnes qui expriment le désir de trouver des moyens pour “grandir”, “donner du sens à leur vie”, être écoutées, faire de la place à la dimension spirituelle de leur vie, se ressourcer; des personnes qui cherchent à unifier ce qui semble disjoint, à accéder à la source profonde de leur existence, à surmonter leurs angoisses, à se rassurer avec d’autres, à trouver des moyens pratiques pour avancer, des “trucs” à appliquer pour se sentir mieux, etc. Ces demandes sont légitimes, elles révèlent parfois des souffrances. En cela, il faut y apporter une réponse. Mais en étant bien au clair sur ce qu’est une vie spirituelle en régime chrétien.
Mais qu’est-ce que “le spirituel” ?
Il convient de savoir de quoi il s’agit quand on parle de “spiritualité”, pour accéder au sens de ce qu’on fait ensemble dans les mouvements tels que le MCC et pour accompagner les personnes qui ont des demandes “spirituelles”.
Pour beaucoup, le spirituel s’opposerait au matériel, au temporel, à ce qui occupe l’essentiel du temps et des énergies : typiquement la vie professionnelle! Or, le travail fluide de l’Esprit n’a rien du “vague vaporeux inconsistant” que l’on peut être tenté d’associer au “spirituel” (Sylvie Robert, Les chemins de Dieu avec Ignace, p.11). C’est dans le très concret que se loge le spirituel, c’est ce qui donne l’élan à tout le reste : “Il n’y a donc pas lieu de chercher à cultiver, en marge de la vie concrète, une “vie intérieure” : ce serait faire injure à Dieu” (Joseph Thomas, Christus HS 170).
Le spirituel est du côté de l’invisible, de l’impalpable, de ce qui est enraciné dans le réel mais fait droit à un “soi intérieur”. C’est ce qui ancre. Elle n’est pas une autre vie. C’est la même vie mais vécue dans toute sa profondeur. Toutes les zones de la vie sont concernées.
Elle n’est pas l’accomplissement de “devoirs” religieux. Nos actes religieux sont la source où s’abreuve la vie spirituelle mais pas le tout de celle-ci. Le but est d’unifier la vie, que toute notre vie “carbure” à l’Esprit car sans une vie toute entière livrée au souffle de l’Esprit.
Dans la perspective de notre foi
La vie spirituelle est la vie au sens le plus fort. C’est ce qui fait résolument sortir de soi (élan et désir) pour se tourner vers un autre qui nous appelle. Une rencontre. Un appel. Une réponse. Le fondement et la finalité de
la vie spirituelle chrétienne est cette rencontre et cette connaissance toujours plus personnelle du Christ. Jésus-Christ attire et appelle à sa suite (à travers nos attentes, un désir, un éveil à quelque chose en soi). Il nous appelle à être pleinement ce que nous sommes déjà (à Pierre “désormais tu seras pécheur d’hommes”, Lc 5, 10). Il nous envoie sur les routes au-devant des autres (“Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups”, Mt 10,16), et avec d’autres (il appelle des frères). Il prend soin de ses amis (“Venez à l’écart dans un endroit désert et reposez-vous un peu”, Mc 6, 31). Donc, entrer dans la vie spirituelle, c’est s’approcher de Jésus, le suivre, le laisser venir à nous et le laisser prendre soin de nous.
La vie spirituelle n’est pas au-delà ni en dehors de l’Église, c’est une manière de la construire.
Dans une manière de vivre l’Évangile
Tout cela fonde un agir chrétien, une manière de se mettre à l’écoute de l’Esprit et d’engager le Christ dans nos décisions, et nos actions. Une spiritualité chrétienne est donc une spiritualité qui s’incarne dans une manière de vivre l’Évangile, à la suite de Jésus-Christ, avec d’autres, à travers le plus concret et quotidien de la vie. Et non plus seulement dans le respect du culte et de la loi.
La vie spirituelle n’est pas au-delà ni en dehors de l’Église, c’est une manière de la construire. Elle répond à notre soif de communauté.
Cette vie a besoin de nourritures, qui se trouvent dans la prière, dans la fréquentation de la Parole de Dieu, dans les sacrements. Sans ces moments gratuits, perdus en apparence, l’Esprit saint ne peut pénétrer toutes nos actions.
Sans temps à l’écart, nos actions, nos engagements sont sans souffle, sans élan. Sans eux, il n’y a pas d’amitié, pas de familiarité avec Dieu et avec l’Écriture qui nous permet de Le découvrir. On ne sait plus nommer la source ; le risque est de s’approprier l’œuvre de Dieu.
Une spiritualité, est un chemin pour aller à Dieu qui se déploie sur la base d’une expérience de Dieu. Et toute spiritualité est un don que l’Esprit fait à toute l’Église. C’est une pédagogie, un langage qui nous est offert pour que nous puissions nous aussi prendre la parole à notre tour. Sans ce langage, nous risquons de rester muets et spirituellement impuissants !
Intervention synthétisée par Sylvie de Roumefort, responsable éditoriale
Pour visionner la conférence dans son ensemble, cliquez ici.