Isabelle
Comité de rédaction
Isabelle
Comité de rédaction
reportage
Deux jours en immersion avec les Semaines sociales de France sur le sens du travail
Au fil des années, les Semaines sociales de France nous ont habitués à des rencontres annuelles d’une grande richesse. Cette année ne fait pas exception. Dans la continuité de la première journée à Reims mi-octobre, les Semaines sociales de France ont réuni dans les locaux de l’Institut catholique de Paris des intervenants de grande qualité pour débattre le temps d’un week-end. Le MCC ne manquait pas à l’appel. Le thème retenu “Pourquoi allons-nous travailler ?” résonne en effet fortement avec les problématiques de notre Mouvement !
Accueillis samedi matin par de chaleureux bénévoles à écharpe blanche, les « semainiers » prennent rapidement leurs marques au sein de l’Institut catholique, entre l’espace café tenu par les Scouts et Guides de France, le village associatif (où le MCC est fièrement représenté !), la chapelle, l’amphithéâtre et le stand de la Procure, qui a pour l’occasion réalisé une impressionnante sélection de livres sur le thème du travail.
Pour les semainiers qui auraient manqué la première journée à Reims, un rappel en introduction du principal message à retenir : « l’incertitude est constitutive de l’humanité », il est vain de vouloir « s’extraire de l’angoisse des contingences du monde » au risque de compromettre la liberté humaine. Dans un contexte d’exacerbation du sentiment d’incertitude par la multiplication des technologies, nous sommes invités à habiter ce monde incertain avec espérance, en hommes libres. Un vrai défi au regard de la dégradation des conditions de travail sur les dernières décennies et de l’invisibilité du sujet dans les débats politiques. Quelle place accorder au travail dans notre vie et sous quelles formes ?
Disons-le d’emblée, il n’est pas de réponse univoque à cette question dans la Bible. La déambulation dans les textes bibliques proposée par Béatrice Oiry, professeure d’exégèse à l’ICP, a néanmoins mis en lumière la responsabilité de l’homme dans son rapport au monde : « Le travail est au service du déploiement de la Création », tel le semeur qui plante la graine de moutarde dans son champ (Matthieu,). Les conditions d’exercice de cette participation de l’’homme sont essentielles pour ne pas tomber dans une forme d’alinéation (quel maître voulons-nous servir ?).
La pensée sociale chrétienne nous enseigne à placer l’humain et le bien commun au cœur de nos préoccupations. De nouveaux enrichissements de cette pensée, présentés par Marcel Rémon (Ceras), nous invitent à considérer le travail comme soin, participant à l’acte de la résurrection : « le premier travail du Ressuscité n’a-t-il pas été de soigneusement ranger ses bandelettes ? »
Ponctué par des temps spirituels réguliers et la messe du dimanche matin, les échanges du week-end ont permis d’aborder sereinement quatre axes de réflexion pour décrypter cette vaste question.
Un contexte : un travail en forte mutation. Bruno Palier, chercheur au CNRS, pose le constat, largement partagé au sein des experts : les Français sont particulièrement attachés au travail, mais les conditions de travail ne leur permettent plus de s’épanouir. Le travail s’est en effet densifié, accéléré, taylorisé… avec moins d’autonomie, de relations, de transmission, de temps de formation. Un chiffre qui ne s’oublie pas : « 43 % des Français seraient prêts à changer d’emploi pour avoir un travail qui ait plus de sens » rappelle Jean-Baptiste Barfety, directeur de la chaire ICP-ESSEC Entreprises et Bien commun.
Un constat : une quête de reconnaissance. A l’écoute de la parole des travailleurs ignorés, le Secours Catholique-Caritas nous invite à changer notre regard sur le travail gratuit et invisible afin de rendre à ces travailleurs la dignité. « Les fins de mois peuvent occulter la fin du monde ». Il est urgent de trouver de nouvelles modalités d’organisation plus inclusives comme celle de Laurent Grandguillaume, président de l’expérimentation Territoire zéro chômeur de longue durée qui vise à donner une activité à des personnes durablement privées d’emploi : « C’est une belle illustration de coopération entre les territoires, les entreprises et les personnes qui sont intégrées dans la démarche » témoigne une participante. Mondragon, fédération espagnole de coopératives valorisant le sens du travail (association des collaborateurs aux décisions stratégiques, élection du dirigeant, partage du bénéfice, écarts de salaire limités, solidarité du réseau), a été une belle découverte : “C’est le paradis votre truc !”, cri du cœur d’une semainière.
Une condition : miser sur le collectif. Pour Maurice Thévenet, professeur à l’Essec, la performance dépend de l’engagement des personnes dans un projet collectif. Cela suppose reconnaissance et qualité de la relation au travail, avec des gens que nous n’avons pas choisis. Il est nécessaire de mener une transformation radicale du management afin de redonner aux salariés du pouvoir d’agir et de renouer avec le travail comme « lieu de l’estime de soi, de la considération et du lien social » (Astrid Panosyan-Bouvet). Cela passe par une attention particulière au dialogue et à l’écoute.
Une ouverture : nos aspirations pour le travail. Les semainiers ont été invités tout au long du week-end à mettre en pratique les principes de dialogue et d’écoute grâce à des ateliers d’intelligence collective, organisés par Claire Degueil. Une agréable surprise pour certains participants : « en très peu de temps, mes voisins ont confié ce qui fondait véritablement le sens de leur travail ». Plusieurs messages forts sont ressortis de cet exercice participatif : l’importance du dialogue et de l’écoute, la reconnaissance des temps gratuits tournés vers le soin de la relation, le développement des organisations apprenantes et coopératives.
La réouverture de Notre-Dame était une belle occasion de revenir sur ce chantier d’ampleur, objet d’une forte fascination à l’international : une source de joie et d’accomplissement dans le travail pour Xavier Mailhol, compagnon du devoir ayant participé au chantier.
Un grand merci aux Semaines sociales de France pour ces échanges d’une grande richesse !
Le retour complet sur le déroulé de la rencontre est disponible ici.