Emmy-Lou

Spécialiste des urgences humanitaires

Emmy-Lou

Spécialiste des urgences humanitaires

Publié le : 04/03/2025

témoignage

Temps de lecture estimé : 4 minutes

Dieu au milieu de la désolation : témoignage d’une humanitaire

Emmy-Lou, spécialiste des urgences humanitaires, intervient pour gérer des déplacements de population dus à des conflits armés ou des crises sanitaires, comme le choléra. Elle organise l’apport des aides en vivres ou biens essentiels et la coordination de la construction d’infrastructures. Elle nous partage son expérience humaine et spirituelle dans plusieurs pays d’Afrique et du Moyen-Orient.

Trouver Dieu au milieu de la désolation

Où est Dieu ? En tant qu’humanitaire, je me suis posé la question tellement de fois. A Goma, en République Démocratique du Congo, à l’écoute de récits de fratries de filles violées par des hommes qui avaient l’âge d’être leurs pères. Au Burkina Faso, face à des enfants dénutris dont les yeux n’exprimaient que souffrance, dans un paysage détruit par ceux-là mêmes qui professent défendre Dieu. En travaillant, de plus loin, à soutenir les collègues basés à Gaza. Au milieu de la désolation, de la souffrance et de la haine, je ne cesse de me demander : où est Dieu ?

L’humanitaire : une réponse à une quête de sens

Lorsque j’ai choisi de quitter mon poste confortable de manager dans le conseil en stratégie à Paris, et que j’ai commencé à travailler dans des théâtres de guerre, je pensais que j’allais me rapprocher de Lui, que j’allais toucher du doigt le Bien.

J’étais fatiguée de travailler pour des entreprises du CAC 40, fatiguée de voir les employés considérés comme de simples effectifs sur des diaporamas. Je voyais l’humanitaire comme un remède – dans une perspective finalement plus égoïste qu’humaniste, comme une façon de me sauver moi-même et de trouver enfin du sens.

On se surprend à être habité par la haine

Si j’ai trouvé du sens, c’est par le chemin tortueux du mal. Pas seulement le mal observé autour de soi : il est évidemment présent partout, dans les actes de violence qui se déroulent devant vos yeux, dans les décisions injustes que prennent certains dirigeants, dans les rencontres avec des mercenaires dont la carrière se construit sur la seule violence.

Mais le mal qui s’insinue en vous : on se surprend à être habité par la haine, à se dire que parfois le mal a ses raisons d’être, qu’on ne peut pas toujours tendre l’autre joue. Pour moi, c’était une découverte intérieure, comme un coup de poing au ventre, de me dire que je savais enfin ce que c’était que de haïr. Et c’est en acceptant cette émotion que j’ai compris que la foi ne consistait pas à ne faire que le Bien, mais qu’il s’agissait d’accepter le Mal et de tenter de le combattre, en nous comme à l’extérieur.

Pour autant, depuis lors, je ne le vis pas comme un combat mais plutôt comme une acceptation : savoir que nous humanitaires ne sommes pas des anges comme on le pense souvent, mais que nos boussoles morales vacillent en permanence.

Dieu, vague de bonté, puissance de changement

Pour équilibrer cette boussole, j’ai choisi lorsque j’étais en RDC de vivre dans une mission catholique. Je suis depuis habitée par la réponse du Père Franco, xavérien : après 50 ans dans ce pays, cinq ou six guerres et tant de confessions terribles entendues, il disait croire en Dieu non pas pour une quelconque raison théologique complexe, mais « parce que sans Lui, ce serait pire ». J’y reviens toujours. Et je parviens toujours – même s’il a fallu entre temps pleurer et crier – à ressentir cette vague de bonté, comme une main délicate qui se penche sur nous.

On pourrait être frustré, se disant que cela ne change rien au destin de millions de personnes, mais je pense que cela se passe fondamentalement dans le cœur de ces gens, et que cette bonté est une forme très puissante d’apaisement. Et qu’à force, elle finira par devenir une puissance de changement.

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