Guillemette Belpaire

Chargée de mission chez JRS France

*Le Service jésuite des réfugiés (JRS) a pour mission d’accompagner, servir et défendre les personnes déplacées par force.

Guillemette Belpaire

Chargée de mission chez JRS France

témoignage

Exercer dans le social ne suffit pas à vivre la charité au travail

Diplômée de l’école de commerce de l’Edhec, Guillemette Belpaire a fait le choix d’un engagement social dans son travail, d’abord au service des jeunes en établissement scolaire, puis dans l’accompagnement des personnes en recherche d’emploi et aujourd’hui au service des personnes réfugiées chez JRS*. Elle nous livre une relecture de son expérience professionnelle sous le prisme de la charité au travail.

Lorsque je dis que je travaille chez JRS, les gens me disent parfois : “c’est trop stylé”. Cette admiration m’agace car elle ne me semble pas ajustée. Qui dit que je donne le meilleur de moi-même dans mon travail ? Que je pose un regard d’amour sur les personnes que je côtoie dans mon environnement professionnel ?

En relisant cette première année chez JRS, je redécouvre quels sont les défis quotidiens à relever pour vivre la charité dans ce travail. Cela nécessite un dépassement de soi permanent, faisant écho à la parole reçue d’un ami jésuite : 

Quand on réalise un geste d’amour, il se démultiplie au-delà de nous et donne la force à d’autres de s’engager.

Vivre la charité au travail, c’est d’abord poser un regard d’amour sur les personnes que je côtoie

Auprès de mes collègues, c’est tout simplement sourire le matin et m’arrêter pour prendre de leurs nouvelles. Confrontés quotidiennement à des situations difficiles, nous avons besoin de nous serrer les coudes et de faire équipe : pour cela, nous sommes invités à vraiment nous envisager les uns et les autres, à nous écouter et à nous connaître en vérité.  

Auprès des nombreux bénévoles engagés à JRS, vivre la charité consiste à prêter une oreille attentive, avec un cœur disponible, pour leur permettre de déposer ce qui est difficile à porter dans leur engagement auprès des personnes vulnérables.  

Dans la rencontre avec les personnes exilées, le défi est de me laisser traverser par leur douleur sans pour autant me laisser submerger. Aider l’autre à se relever passe par le fait de l’aider à croire en sa dignité humaine : c’est poser ce regard qui relève.

Comme chrétienne, je puise cette disponibilité de cœur dans la prière. Je sais que ces relations humaines me nourrissent, et j’apprends à trouver des lieux pour déposer les situations qui me pèsent et m’entravent dans mon travail.

Une exigence d’efficacité pour répondre au mieux aux besoins du terrain

Chez JRS, nous sommes mus par la recherche de solutions concrètes et efficaces pour les personnes accueillies, en mobilisant les meilleures compétences et ressources à notre disposition. Ce travail requiert une exigence dans l’action : faire de son mieux pour donner le coup de pouce demandé. Par exemple, j’apprends à orienter les personnes (vers des cours de français, pour un rendez-vous médical avec un spécialiste ou les urgences, etc.) ; j’apprends les rouages de la politique d’hébergement en France afin de mieux conseiller la personne qui est dans la rue.

Il faut accepter que notre action soit limitée : nous ne pouvons faire plus que d’apporter la bonne information au bon moment et d’accompagner au mieux la personne là où elle en est (accompagnement juridique, aide au retour à l’emploi, hébergement citoyen en famille d’accueil). Nous ne sommes pas le Sauveur, mais des “serviteurs inutiles qui n’ont fait que leur devoir”.

Nous réalisons que ce que nous accomplissons n’est qu’une goutte dans l’océan. Mais si cette goutte n’existait pas dans l’océan, elle manquerait. (Mère Térésa)

Un chemin d’humilité : accepter de ne pouvoir sauver la personne en face de soi

Il arrive que nous ne puissions rien faire. Un des principes de base dans la relation d’aide de la Croix Rouge, avec laquelle nous collaborons, consiste à ne pas nuire : mieux vaut ne pas faire quand on ne sait pas, plutôt que de nuire à la personne par une démarche erronée. Souvent, nous orientons vers d’autres car nous n’avons pas les compétences. J’apprends que je ne suis pas toute puissante, même souvent très impuissante. Je n’ai pas réponse à tout. J’accepte de dire que je ne sais pas. 

J’apprends aussi à dire que je ne me sens pas capable d’écouter des personnes dont le récit de vie sera émaillé de nombreuses souffrances. Parfois, on ne peut pas entendre certaines histoires, on ne peut pas voir certaines images. Et c’est acceptable. Il faut d’abord se protéger soi-même.

Surtout, j’apprends à accepter mes limites physiques, à prendre soin de moi, de mon corps en manque de repos. J’apprends à trouver un équilibre entre ma vie professionnelle et ma vie personnelle, à cultiver les relations avec mes amis et ma famille : il est plus facile d’aider dans sa vie professionnelle lorsque sa vie personnelle est épanouie.

Pour aller plus loin

*Le Service jésuite des réfugiés (JRS) a pour mission d’accompagner, servir et défendre les personnes déplacées par force.

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