Luc Pouliquen

Responsable de la qualité de vie au travail d’un grand groupe industriel

Luc Pouliquen

Responsable de la qualité de vie au travail d’un grand groupe industriel

témoignage

La culture du héros met certaines organisations dans l’impasse

Par ses fonctions et son cheminement personnel, Luc Pouliquen est un spécialiste aguerri des risques psychosociaux. Face à la persistance des fragilités en entreprises, il interroge les multiples facteurs de risque et confie à Responsables ses attentes.

Qui n’a pas un collègue ou un proche touché par un évènement de la vie et amené à ne plus pouvoir assurer ses tâches, à cesser temporairement le travail ou même à mettre un terme à son activité professionnelle ? Comment expliquer la recrudescence de fragilités autour de nous ?

Il faut des dirigeants qui parient sur l’humain, donnent du sens et refusent d’être asservis à des résultats immédiats et à la croissance permanente de leur chiffre d’affaires

Des facteurs composites

Parmi les causes, je relève la quête grandissante de sens. Paradoxale à première vue, elle concerne les plus jeunes, mais pas seulement, et les conduit à rejeter des compromis anciens en matière de contraintes ou dysfonctionnements du travail, perçus comme contraires à leurs valeurs et toxiques pour leur santé. L’âge est un autre facteur de fragilisation. Si chacun est naturellement concerné, les personnes soumises à des contraintes physiques le sont en premier lieu.

Qu’elle survienne à la suite de difficultés liées au travail ou d’évènements extérieurs combinés à des facteurs personnels, la fragilité s’est installée dans le monde professionnel. Je note qu’elle reste souvent cachée. Peu osent en parler ouvertement.

Un coupable déni

Pourquoi est-elle souvent niée ? Nous évoluons dans une culture de l’invulnérabilité et de la toute-puissance. La diabolisation de l’erreur, l’incapacité tant individuelle que collective à en tirer des leçons et à se remettre en cause sont rendues possibles par notre système éducatif fondé sur la compétition et l’obtention de l’unique ‘bon’ résultat à des problèmes ‘simples‘ : il ne nous apprend pas à faire face collectivement à la complexité. Cette culture du héros conduit certaines organisations à l’impasse. Ajoutons qu’un tel déni contribue à jeter un voile coupable sur les fragilités psychosociales au travail.

Je suis pourtant convaincu que ces fragilités peuvent être une bonne nouvelle, car elles sont signe que l’humain résiste. De telles expériences peuvent devenir, pour ceux qui les vivent, s’ils sont entourés, des opportunités pour devenir plus humain, mieux ajuster leur projet de vie et œuvrer pour une approche plus humaine du travail et de la performance. L’enjeu est clairement la place de l’humain dans le monde du travail.

Bonnes pratiques

Du chemin reste à faire ! Malgré l’exigence légale faite à l’employeur à l’article L. 4121-2 du code du Travail, les entreprises adaptent trop rarement le travail à l’humain. Je remarque que celles qui semblent mieux concilier fragilité individuelle et performance collective s’appuient toujours sur des convictions très fortes de leurs dirigeants et leur capacité à parier sur l’humain, donner du sens, refuser d’être asservis à des résultats immédiats et à la croissance permanente de leur chiffre d’affaires.

Il faut encourager cette résistance de plusieurs façons. En ne se contentant pas des initiatives portées par la fonction émergente de « diversité » dans l’entreprise qui certes, remettent en cause certains stéréotypes ou iniquités mais ne s’attaquent pas à la culture dominante de la performance individuelle. En poussant plus loin ces approches pour être créatif sur la manière dont la performance collective pourrait être le fruit « par surcroît » d’une véritable orchestration de la diversité perçue comme une richesse.

Nous pouvons aussi nous appuyer sur la « résilience », capacité que nous avons à traverser des épisodes difficiles. Ou encore sur la « pleine conscience » qui encourage une reconnexion avec soi-même. L’objectif de bien-être au travail passe par un travail d’intériorité, qui permet en particulier de réaliser que nous ne disposons pas d’une énergie infinie et qu’il nous faut parfois faire des choix entre tous les fronts de la vie privée, familiale et professionnelle.

La proposition du MCC, enfin, nous invite à prendre conscience de notre rapport à l’argent et au pouvoir, qui sous-tend souvent les organisations et le culte de la performance. À questionner notre besoin légitime mais parfois mal ajusté de reconnaissance et de justification en nous replongeant à la source de Celui qui nous aime inconditionnellement malgré ou à cause de nos fragilités.

 

 

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