Mgr Antoine Hérouard

Evêque auxiliaire de Lille, représentant de la Conférence des évêques de France à la Commission des épiscopats de l’Union européenne (Comece)

Mgr Antoine Hérouard

Evêque auxiliaire de Lille, représentant de la Conférence des évêques de France à la Commission des épiscopats de l’Union européenne (Comece)

analyse

L’avenir de l’Europe est une préoccupation pour les chrétiens

Rarement élections européennes auront été aussi cruciales. À l’heure du Brexit, de la montée des diverses formes de “populisme”, de la défiance vis-à-vis d’une Europe jugée lointaine, technocratique, souvent inefficace, incapable de définir des politiques communes, c’est l’occasion pour nous chrétiens de nous interroger sur le projet européen : quelle Europe voulons-nous pour demain ? En quoi reste-elle un enjeu spirituel ? Des réponses avec Mgr Antoine Hérouard.

Il ne suffit pas de critiquer les insuffisances, les lourdeurs bureaucratiques ou les échecs de l’Europe sans s’interroger plus profondément sur ce qui en est la cause : par exemple, dans la crise migratoire et ses conséquences, est-ce les institutions européennes qui n’ont pas fonctionné ou l’égoïsme des États membres qui n’a pas permis de définir une politique commune et des responsabilités partagées ?

La recherche d’une paix durable et d’une solidarité ancrée dans le réel

Ces questions d’ordre politique, intéressent et concernent aussi l’Église dans sa mission propre. C’est vrai d’abord au niveau historique dans l’engagement en faveur de la paix dont nous voyons toujours la fragilité, particulièrement en cette année du centenaire de la fin de la première guerre mondiale où nous nous souvenons des millions de morts qu’elle a entraînés, comme une saignée béante pour notre continent. Si la paix semble aujourd’hui acquise pour les jeunes générations, rappelons-nous que la guerre est aussi à notre porte (hier dans les Balkans, aujourd’hui en Ukraine…).

Si l’Europe doit être l’horizon incontournable de nos démocraties et la promesse d’un meilleur bien être pour tous, il ne s’agit pas d’en faire une démarche incantatoire mais de mettre en œuvre le projet qui fut celui des pères fondateurs. Robert Schuman s’exprimait ainsi dans sa déclaration du 9 mai 1950 : « La contribution qu’une Europe organisée et vivante peut apporter à la civilisation est indispensable au maintien des relations pacifiques. (…) L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes, créant d’abord une solidarité de fait ».

Une organisation bâtie pour une communauté d’hommes et de femmes

Au-delà des différences d’approche politique légitimes, des intérêts économiques différents entre les pays qui composent l’union européenne, l’important est sans doute aujourd’hui de retrouver une âme, un sens à ce que nous essayons de vivre dans cette construction européenne, souvent laborieuse et difficile, et pour nous chrétiens de nous y engager avec générosité et réalisme. Le pape François, pourtant issu d’un autre continent, n’a pas manqué de s’exprimer longuement (5 grands discours au moins depuis son élection !) sur l’importance de la construction européenne et la contribution que peuvent apporter les chrétiens à la construction européenne. Ainsi lors du colloque organisé à Rome par la Commission des épiscopats de l’Union européenne (Comece, cf. en bas de l’article) et la Secrétairerie d’État à Rome en octobre 2017, « Rethinking Europe », François soulignait que « la première et peut-être la plus grande contribution que les chrétiens puissent offrir à l’Europe d’aujourd’hui, c’est de lui rappeler qu’elle n’est pas un ensemble de nombres ou d’institutions, mais qu’elle est faite de personnes. (…) Les personnes ont des visages, elles nous obligent à des responsabilités réelles, actives, « personnelles » ; les chiffres nous occupent avec des raisonnements, certes utiles et importants, mais ils resteront toujours sans âme. Ils nous offrent l’alibi d’un désengagement, parce qu’ils ne nous touchent jamais dans la chair. Reconnaître que l’autre est surtout une personne signifie valoriser ce qui m’unit à lui. Le fait d’être des personnes nous lie aux autres, nous fait être communauté. Donc, la deuxième contribution que les chrétiens peuvent offrir à l’avenir de l’Europe est la redécouverte du sens d’appartenance à une communauté ».

« Personne et communauté sont donc les fondements de l’Europe que, en tant que chrétiens, nous voulons et pouvons contribuer à construire. Les pierres de cet édifice s’appellent : dialogue, inclusion, solidarité, développement et paix. »[1]

La promotion de valeurs humaines dans la mondialisation

Un autre aspect qu’il nous faut souligner dans les enjeux actuels du débat européen est la question de la place de l’Europe dans le monde et dans le fonctionnement d’une économie mondialisée. Plus que nous ne le pensons et ne l’imaginons l’Europe est attendue et regardée par d’autres pays et d’autres ensembles en construction (Amérique du Sud, Asie du Sud-Est,…). « En 20 ans le monde a profondément changé et il est clair qu’il n’est plus centré sur l’Europe. L’Église, elle aussi, a beaucoup changé et s’est internationalisée dans ses références culturelles et son mode de gouvernement. La question est bien de voir si ce que l’Europe a pu apporter au monde dans sa compréhension de l’homme, de sa dignité inaliénable, de ses droits fondamentaux, de sa capacité relationnelle et solidaire, pourra encore être affirmé demain et proposé comme un idéal sur d’autres continents. »[2] Autrement dit, si nous plaidons pour des relations internationales organisées et régulées, tant au point de vue politique qu’économique et commercial, c’est bien l’Europe et sans doute elle seule aujourd‘hui qui peut en être la cheville ouvrière et le fer de lance.

Comme chrétiens, nous avons à aider les citoyens européens à discerner la nature des choix à effectuer pour que l’Europe réponde davantage aux attentes des peuples européens et à sa mission propre dans l’évolution du monde.

 

 

[1] « Rethinking Europe », discours du Pape François 28 octobre 2017 : https://bit.ly/2xEWnW3

[2] Mgr Georges Pontier, président de la Conférence des évêques de France (CEF), discours de clôture de l’assemblée des évêques à Lourdes, 8 novembre 2018

Pour aller plus loin

Partager sur les réseaux