Gaël Giraud sj
Professeur à l'université de Georgetown, directeur du "Georgetown environmental justice Program"
Gaël Giraud sj
Professeur à l'université de Georgetown, directeur du "Georgetown environmental justice Program"
point de vue
Le business des années futures se fera dans l’économie verte
Le 15 septembre 2020, l’économiste et jésuite Gaël Giraud était l’invité du « Mardi d’éthique publique » du Centre Sèvres, en partenariat avec le MCC, consacré au Green New Deal. Il a livré une analyse stimulante de la situation économique et détaillé ses propositions d’un plan d’investissement français et européen, visant à concilier reconstruction écologique, aménagement du territoire et gestion des dettes publiques.
Le Gouvernement français annonce 100 milliards d’euros pour relancer la croissance, l’Europe 750 milliards. Avant de développer vos propositions, quel diagnostic posez-vous sur la situation actuelle ?
Quelques points de repère pour mettre en perspective ces annonces. Le réchauffement climatique est là et nous ne serons pas en capacité de respecter les accords de Paris, c’est-à-dire la neutralité carbone en 2050. Les trajectoires des experts nous amènent à + 4/5° C en 2100 ; au-delà de + 8/9° C, nous entrerons dans une terra incognita… La déflation, ensuite, nous guette avec des conséquences dramatiques pour les pays : fin de la croissance, fin de l’inflation, augmentation du chômage, augmentation des dettes, appauvrissement des entreprises, arrêt des investissements, à l’image du Japon depuis 30 ans.
Nous vivons enfin, la fin du cycle engagé dans les années 1980 qui nous a permis de consommer des produits peu chers. Ces biens, produits en Chine, dégageaient pour ce pays des excédents de l’ordre 1 000 milliards de dollars par an les meilleures années, majoritairement réinvestis dans la dette publique américaine. En 2009, la Chine décide de conserver ses excédents pour créer une classe moyenne. Dans les économies occidentales se développent alors des financements non conventionnels, appelés quantitative easing, sans aucun lien avec l’économie réelle et avec des risques de bulles avérées. Il nous faut retrouver les fondamentaux de l’économie réelle en réindustrialisant et en créant des cycles de financements vertueux.
Face à ce constat pessimiste, que suggérez-vous ?
Une des premières décisions serait de nous emparer des conclusions de la Convention citoyenne pour le climat et de travailler toutes les propositions (sauf les 110 km/h sur autoroute qui font trop polémique). Plus largement nos actions doivent se développer autour de trois grandes ambitions, trois grandes transitions pour reprendre le thème de votre Congrès. Premièrement, une transition économique vers plus de sobriété avec la rénovation thermique des bâtiments publics et privés. Celle-ci créera des emplois non délocalisables, estimés à 500 000 en année 1, à 1 million de plus la deuxième année 2 et ainsi de suite. Cela s’accompagnera de formations qualifiantes et d’une baisse du chômage. Un tel chantier entraînera aussi mécaniquement une baisse très importante de notre dépendance au pétrole et à M. Poutine !
Deuxièmement, une transition sociétale vers un réaménagement du territoire avec la réhabilitation des petites lignes ferroviaires, la densification des villes moyennes, qui permet de diviser par 10 la consommation d’énergie, et une polyculture autour des villes privilégiant les circuits courts. En troisième lieu, une transition numérique vers une industrie « low tech » qui favorise un « verdissement » de l’industrie : fin de l’obsolescence programmée, production d’appareils réparables et recyclables, conception de voitures plus simples avec moins d’électronique, etc. Les idées sont très nombreuses et des initiatives existent déjà.
Quels blocages repérez-vous sur la voie de ces transitions ?
Notez que sur les 100 milliards annoncés par le gouvernement, 40 viennent de l’Europe qu’il nous faudra un jour rembourser, et 30 étaient déjà budgétés. Il reste 30 milliards de nouveaux investissements en supposant qu’il ne s’agit pas de budget existant réaffecté… On le voit, cela reste beaucoup trop faible et les 750 milliards sur 3 ans pour les 27 pays européens sont aussi très en dessous des enjeux.
Les solutions ne sont donc plus dans un « État stratège » comme on voudrait encore nous le laisser penser, mais bien dans le secteur privé. Tous les grands patrons et aussi les chefs d’entreprises de toutes tailles ont compris que le business des années futures se ferait dans l’économie verte. Pour mener la nécessaire décarbonation de l’économie, il existe selon moi trois options : il faut créer une « banque de défaisance » qui rachètera toutes les actions « fossiles » à prix cassés des banques commerciales, imposer une décarbonation des bilans des banques en ramenant à « 0 » les titres ou actions des sociétés exploitant ces énergies fossiles, et enfin demander à la Banque centrale européenne (BCE) de procéder directement au rachat, au prix fort, des actions « fossiles » des banques grâce à de la création de monnaie qu’elle seule est habilitée à faire.
Est-ce réaliste de donner ce rôle majeur à la BCE ?
Cela implique d’élargir ses domaines d’actions vers la lutte contre l’inflation et l’accompagnement de la croissance, avec la possibilité de prêter directement aux États. De telles évolutions devront s’accompagner d’une annulation par la BCE des 2 200 milliards de dettes des États qui sera compensée par une recapitalisation de la Banque par elle-même, sans perte pour quiconque. Il faudra créer de nouvelles recettes fiscales européennes (taxe carbone, taxe GAFA, taxe sur les transactions financières), accepter la possibilité de dettes communautaires (l’Allemagne vient de le faire) et permettre à la Commission européenne d’emprunter car l’Europe est le meilleur emprunteur du monde.
Et les jeunes dans tout ça ? Ce sont eux qui porteront ou supporteront nos décisions…
Il y a, chez eux, une très grande conscience des enjeux actuels. Nos hommes politiques de plus de 40 ans n’ont reçu aucune éducation sur l’écologie, eux la vivent en revanche depuis leurs premières années d’école. Ils aspirent à des vies plus simples. Je vous incite à aller découvrir le Campus de la transition cofondé par Cécile Renouard ou celui de l’université Stellenbosch en Afrique du Sud. Les jeunes sont prêts à d’énormes sacrifices pour sauver la planète.
Propos recueillis par Henri-Luc Julienne