Daphné Vauclin

DRH et coach interne

Daphné Vauclin

DRH et coach interne

Publié le : 28/03/2025

point de vue

Temps de lecture estimé : 4 minutes

Managers, vous avez un rôle à jouer pour bâtir un nouveau pacte social

La “désertion silencieuse” des travailleurs vient chambouler les pratiques managériales. Comme toute crise, elle offre une immense opportunité de renouveau, à condition de faire preuve de courage et d’ouverture.

En 2013, j’ai cherché mon premier travail. À l’époque, on disait déjà que la France était “en crise”. Croissance à l’arrêt, chômage de masse, austérité rampante… La vie professionnelle commençait donc, non sans une certaine anxiété, dans un paysage économique plutôt morose. Les experts, eux, s’adonnaient tout autant qu’aujourd’hui à des prédictions plus ou moins éclairées sur le futur du travail, l’effet des nouvelles technologies, les ruptures générationnelles dans l’entreprise.

Douze ans plus tard, le décor a changé, mais l’ambiance reste étrangement familière. Le quotidien des jeunes diplômés de 2025 ne semble pas si différent de celui que j’ai connu. La même incertitude. Le même sentiment d’un monde professionnel instable, exigeant, parfois absurde. Le désenchantement des jeunes de 2025 est-il si différent de celui de mes camarades de la promo 2013 ? Ou bien s’agit-il simplement d’une vieille rengaine, qui revient dès que le ciel économique se couvre ? Je ne le crois pas.

Le contrat social est rompu

Il me semble qu’une bascule plus profonde a eu lieu. Ma génération croyait encore, sincèrement, au contrat social. À la méritocratie. À l’idée qu’un effort honnête serait récompensé, que le travail, bien fait, pouvait être un levier d’émancipation. Cette croyance a pris l’eau, lentement mais sûrement. Et avec elle, c’est tout un rapport au travail qui est en train de se transformer. On reproche à la génération Z son “infidélité professionnelle”. Elle change trop souvent d’employeur, ne s’engage pas, donne le minimum. Mais soyons honnêtes : au fond, qui trahit qui ?

Peut-on exiger de la loyauté dans un système qui, lui, n’offre plus beaucoup de garanties ? Aucun employeur, aujourd’hui, ne peut promettre une sécurité certaine à ses salariés, dans un monde où s’est produit l’impensable : crise sanitaire mondiale, retour de la guerre en Europe, montée des extrêmes sur fond de dérèglement climatique… Le contrat est rompu. Les jeunes le savent. Et nous le savons aussi.

Le désengagement massif que nous observons aujourd’hui dans les entreprises ne concerne pas uniquement les jeunes : toutes les catégories sont touchées. Et il ne s’agit pas d’une crise de paresse, mais de la réponse à retardement des collaborateurs face à un système qui ne les protège plus. Il ne prend pas la forme d’une révolte, mais celle d’une désertion silencieuse, d’une désobéissance douce.

Pas de rejet du travail mais de nouvelles règles du jeu

Mais je ne crois pas que ces « désengagés » rejettent le travail. Ils nous demandent simplement de le remettre à sa juste place, parce qu’ils savent qu’ils ne peuvent pas compter sur les institutions pour leur garantir un avenir. Et que, quitte à devoir se débrouiller seuls, autant le faire à leurs conditions. Le travail n’est plus le cœur de l’identité. Il devient un espace parmi tant d’autres, de réalisation de soi — et c’est ainsi qu’il faut désormais l’investir.

Entreprises, dirigeants, managers : vous pouvez regretter l’ancien monde, entretenir l’illusion, pointer du doigt le manque d’engagement de vos collaborateurs. Ou vous pouvez accepter, avec lucidité et humilité, que les règles du jeu ont changé. Il vous appartient maintenant d’écouter sans jugement ce que ces nouveaux protagonistes ont à vous dire.

Une immense opportunité : bâtir un pacte social plus juste

C’est une crise, oui, mais c’est aussi une immense opportunité : celle de bâtir un nouveau pacte, plus juste, plus vivable, plus aligné avec ce que nous sommes devenus.

Cela suppose d’abord d’accepter de ne plus être à la tête, mais au service : au service d’équipes qu’on ne dirige plus comme avant, qu’il ne suffit plus de motiver à coups d’injonctions à la performance, mais qu’il faut accompagner avec sincérité dans leur quête de sens, d’équilibre, et parfois de réparation.

Cela demande aussi de se questionner honnêtement sur son propre rapport au travail. Sur les sacrifices qu’on a soi-même faits, sur les croyances qu’on a intégrées et sur ce qu’on transmet aujourd’hui, consciemment ou non à ceux qui travaillent à nos côtés.

Cela demande, enfin, le courage de reconnaître qu’il nous faut mettre en lumière ces croyances et l’espérance de faire advenir ce changement.

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