Anousheh Karvar
Inspectrice générale des affaires sociales (Igas), déléguée du Gouvernement au conseil d’administration de l'OIT
Anousheh Karvar
Inspectrice générale des affaires sociales (Igas), déléguée du Gouvernement au conseil d’administration de l'OIT
point de vue
Réenchanter le travail, pour quelle société ?
Anousheh Karvar, déléguée du Gouvernement au conseil d’administration de l’Organisation internationale du travail (OIT) et chargée du suivi des politiques de Travail-Emploi aux G7-G20, réagit aux propositions du MCC sur le thème “réenchanter le travail”. L’ancienne secrétaire générale adjointe de la CFDT Cadres et membre de l’inspection générale des Affaires sociales a accepté de les commenter avec franchise, pointant leurs pertinences et lacunes au regard des enjeux actuels[1].
Très concrètes, vos propositions répondent à un besoin de beaucoup de salariés, cadres ou non cadres, sur la conduite à tenir dans un collectif. Ceci dit, elles placent essentiellement le cadre en position de surplomb, montrant à quel point nos organisations restent hiérarchiques. Regardons du côté des organisations horizontales car les nouvelles technologies, surtout numériques, ont changé les relations au collectif. N’y a-t-il pas aussi des questions de solitude au travail et de liens à créer ?
Finalité de l’entreprise
Donner du sens au travail, donner un sens du collectif, voilà un élément au cœur des préoccupations des observateurs du monde du travail depuis plusieurs années et qui est bien présente dans vos propositions. Prenons l’exemple des discussions sur les entreprises à mission initiées par le rapport Senard-Notat (2018) dont l’impact est un peu trop limité selon moi sur le projet de loi Pacte. C’est cependant un début : dans l’entreprise à mission, le collectif de travail sait au service de quelle finalité il se mobilise.
Demande de lien social
Dans le rapport de l’OIT, Travailler pour bâtir un avenir meilleur, dévoilé le 22 janvier, je note trois éléments en lien implicite ou explicite avec vos propositions : la question d’un certain nombre de garanties appelées universelles, pour les travailleurs, qui vont de la protection sociale à la question d’un salaire d’existence ; la maîtrise du temps, rejoignant le droit à la déconnection ; la revitalisation de la représentation collective, qui manque un peu dans vos propositions. Si on veut lutter contre l’isolement, retrouver un sens collectif au travail, il faut accroître les lieux de réunion. Les organisations syndicales, que l’on peut multiplier, sont les lieux de rencontres collectives. On a vu récemment que les ronds-points remplissaient cette fonction, ce qui montre le manque de lieux alternatifs pour faire discuter les gens.
Démocratie dans l’entreprise
À propos des Gilets jaunes, je relève que la question de l’entreprise et de la démocratie dans l’entreprise est totalement absente de leurs revendications. Pourquoi ? Est-ce par crainte de perdre son emploi ? Il me semble que leur forme d’investissement dans le travail n’est pas celle, classique que l’on connaît jusqu’à présent. Attendons peut-être de voir ce qui va sortir du grand débat national. Autre élément qui m’interroge, ils ne s’intéressent pas au référendum dans l’entreprise, pourtant prévu par le code du Travail dans un certain nombre de cas, mais exigent un référendum d’initiatives dans la société. Nous passons tous une grande partie de notre temps au travail. C’est là que nous faisons l’apprentissage du vivre ensemble avec d’autres personnes. Il faudrait creuser la question et inciter les cadres du MCC à jouer un rôle dans la diffusion de ces problématiques dans leur environnement professionnel.
Lutte contre les discriminations
Un élément important pour moi, encore plus quand on est cadre et en position hiérarchique ou d’animation d’équipe, est le respect de l’égalité hommes-femmes et de la diversité, qui me semble absente de vos propositions. Certains des thèmes mis en avant par les Gilets jaunes existent dans vos propositions quand d’autres sont curieusement absents de part et d’autre, cela m’a beaucoup intéressée.
Propos recueillis par Solange de Coussemaker
[1] Les 10 propositions ont été élaborées avant la crise des Gilets jaunes.