Lucile Leclair

Comité de rédaction

Lucile Leclair

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reportage

Territoires Zéro Chômeur de Longue Durée

Dans le Nord, une initiative qui fait converger les transitions

Ils étaient 80 chômeurs de longue durée. Ils sont désormais tous en CDI, choisissent leurs horaires de travail et ce qu’ils souhaitent faire pour le quartier. L’histoire ne tient pas de la légende, nous avons pu le vérifier en nous rendant dans un « Territoire zéro chômeur de longue durée » (TZCLD), les Oliveaux, à Loos, au sud-ouest de Lille. L’un des seuls en zone péri-urbaine, la plupart étant situés en secteur rural.

« C’est une blague ! Être embauchée dans le quartier ? C’est pas possible ! » Alima raconte sa première réaction à l’annonce du projet. C’était avant qu’elle ne devienne couturière à deux pas de chez elle. Dans une petite salle éclairée par des lampes basses, la quadragénaire mère de trois enfants achève un protège-tablette en tissu orangé de récupération. À sa gauche sur la table de travail, Fatouche coud un ourlet de pantalon. Ouvrière en usine de confection pendant 15 ans, elle avait fini par démissionner il y a 10 ans. « C’était soit le boulot, soit les enfants ! » Partir en bus à 5h du matin pour pointer à 7h15, revenir épuisée à 18h… Fatouche n’avait pas retrouvé d’emploi depuis.

Alima et Fatouche font partie des 80 personnes embauchées par la « Fabrique de l’emploi ». Quelles sont les conditions pour être recruté ? Vivre dans le quartier et être au chômage depuis plus d’un an. Et ensuite ? Participer aux réunions dans le quartier, se faire connaître et dire ce qu’on voudrait faire. Il n’y a pas d’entretien d’embauche mais le processus prend en moyenne un an. Nicolas, qui se pensait à 36 ans « condamné au chômage à perpétuité », a été l’un des premiers à signer son CDI, à la création de l’association en 2016. Pour ce Nordiste sans diplôme, désormais « chargé des relations publiques de la Fabrique de l’emploi », le travail a permis de sortir de la précarité, mais a aussi changé sa vision du quartier.

« Ici, c’était un endroit où on dort », retrace-t-il. Il n’y avait pas une épicerie, et les commerces « ont fermé les uns après les autres ». Nicolas habite depuis 35 ans dans le quartier. Quand il parle des Oliveaux, il cite la tour Kennedy à côté de chez lui, la « tour la plus haute au nord de Paris ». Avec ses 28 étages, elle abrite 400 habitants. Le quartier rassemble, lui, 7 500 habitants, une densité forte puisque équivalent à un tiers de la population de Loos. La « zone urbaine sensible » connaît un taux de chômage de 24%. Soit dix points de plus que la moyenne nationale selon l’INSEE.

Maraîchage, épicerie solidaire, aide à la personne, les activités, privilégiant les circuits courts, le recyclage ou le bio, se sont multipliées aux Oliveaux grâce à la Fabrique de l’emploi. On compte maintenant un restaurant dans les locaux de l’association. « Entrée, plat, dessert pour 6,50 € » annonce Dominique, qui prépare les menus des prochaines semaines avec trois de ses collègues. « Pour mercredi c’est boulette de viande à la sauce tomate, riz et salade verte », continue celui qui travaille pour la première fois en restauration après des études de comptabilité inachevées et un emploi de gardien d’immeuble.

À la tête de l’association, Ghislain de Muynck rappelle que Loos a été choisi par l’État avec neuf autres territoires volontaires, en France, pour tester cette expérience novatrice de résorption du chômage de longue durée. Le modèle économique ? Il s’agit de « transférer l’indemnité chômage par an et par personne de 18 000 € à notre entreprise à but d’emploi (EBE), ce qui permet de financer une embauche au smic en CDI à 70%. Le reste provient du chiffre d’affaires de l’EBE. » À rebours de la logique d’aide à l’insertion professionnelle, l’EBE ambitionne de « créer les services et produits qui n’existent pas dans le quartier » pour développer à plus grande échelle une idée inventée en 2011 par l’association de lutte contre la pauvreté ATD-Quart Monde.

Le pari a su rassembler des hommes et des femmes qui souffraient d’isolement, mais aussi des habitants soucieux de la vie du quartier. Karim a travaillé dans la gestion de patrimoine financier avant de connaître une période longue de chômage. En faisant le choix de « travailler à la Fabrique » en tant que commercial, il a vu son ancien salaire divisé par trois. Une perte largement compensée, dit-il, par le sens qu’il trouve aujourd’hui à son travail. « C’est une façon de rendre ce que j’ai reçu », explique l’homme qui arriva du Maroc aux Oliveaux en 2005. « Je ne connaissais personne, mes voisins m’ont accompagné dans des boîtes d’intérim pour trouver du travail. » Un moyen, aussi, de participer à construire un avenir meilleur. « Quand mon fils postulera pour un emploi ailleurs, il ne sera pas stigmatisé parce qu’il vient d’un quartier chaud. L’image des Oliveaux aura changé. »

Récemment, Jessica a représenté la Fabrique de l’emploi lors d’une journée organisée à l’Assemblée nationale. La secrétaire de l’association espère que le transfert financier voté par le Parlement en 2016 sera reconduit en 2019 pour pérenniser l’expérience. Et l’étendre à d’autres territoires : « plus de 150 villes sont volontaires ». Aujourd’hui la métropole lilloise est n°1 en nombre d’embauches parmi les dix territoires expérimentaux, avec 120 postes créés à Loos et Tourcoing. Success story ? « On n’est pas encore à zéro chômage », modère Ghislain. Aux Oliveaux « 130 personnes éligibles à l’expérimentation et volontaires » se trouvent actuellement sur une liste d’attente.

 

 

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