Alban
Directeur d’agence bancaire / agriculteur
Catherine
Contrôleuse de gestion chez Renault / céréalière bio
Alban
Directeur d’agence bancaire / agriculteur
Catherine
Contrôleuse de gestion chez Renault / céréalière bio
témoignage
«Slasheurs» et heureux de l’être
Le “slasheur”, ou “slasheuse”, cumule plusieurs emplois très différents. Le terme vient du signe «/», barre oblique du clavier, en anglais slash, signifiant une séparation entre différents éléments simultanés. Catherine, 53 ans, et Alban, 46 ans, tous les deux slasheurs, sont convaincus qu’ils sont, de ce fait, meilleurs dans chacun de leurs jobs.
Pouvez-vous nous décrire vos activités et nous dire en quoi le terme de slasheur vous correspond ?
C : Ce terme me caractérise bien car je partage mon temps entre les Yvelines où je suis contrôleuse de gestion trois semaines par mois, chez Renault, et le Finistère où, la quatrième semaine, je suis agricultrice. J’y cultive des céréales bio.
A : De mon côté, je ne connaissais pas ce terme, mais moi aussi, j’exerce deux métiers très différents. Je suis directeur d’une agence bancaire à Fécamp (76) où j’encadre six collaborateurs. Et avec mon frère, qui a également en parallèle un autre métier, nous exploitons une ferme où nous produisons des céréales, du colza, du lin, de la betterave sucrière et nous avons aussi des animaux, pour l’engraissement. En plus de mon temps plein à la banque, ma ferme représente l’équivalent d’un tiers temps supplémentaire lissé sur l’année mais avec des pics à 100 % sur la période des semis ou des récoltes.
Que vous apporte chaque métier et cette organisation professionnelle revêt-elle un caractère «indispensable» à votre équilibre ?
C : Quoique cela me coûte en temps, en contraintes organisationnelles et même financièrement, mon choix est fait. J’ai besoin d’espace, de liberté et cette activité me les apporte. La ferme est indispensable à mon équilibre, elle m’aide à vivre mon activité de bureau et ma vie en région parisienne. Je ne supporte plus l’immédiateté que d’aucun juge indispensable. Heureusement, le rythme de la nature est bien autre. Par ailleurs, je pratique ainsi une activité physique naturelle et assez intensive, je suis plus en forme et remplie d’énergie. Je ne renoncerai pas à l’agriculture même pour un nouveau job qui serait plus porteur ou plus intéressant. Être à la ferme est en base dans mes conditions d’emploi ou de mobilité. Et ce temps passé sur le tracteur est aussi un temps de recul vis-à-vis de mon activité de gestionnaire. Avec ce rythme, j’anticipe pour faire face aux imprévus, je suis beaucoup plus efficace et méthodique. Quand je quitte un de mes lieux de vie, tout doit être bouclé, un peu comme lorsque l’on part en vacances, mais pour moi, c’est tous les mois. Mon “bon sens paysan” a du bon.
A : Pour moi aussi, mon activité d’agriculteur est une donnée d’entrée pour mon autre emploi. Mon rapport à la terre m’est indispensable. Quand je suis à la ferme, toute la pression reçue à la banque disparaît. Et surtout, c’est la nature qui prime, je ne maîtrise pas tout, cela apprend à beaucoup relativiser et, forcément, cela influe sur ma manière de travailler à la banque, de manière très positive.
Comment votre employeur et vos collègues réagissent-ils ?
C: Avec les RH, les choses sont claires puisque contractualisées. Vis-à-vis de mon hiérarchique direct, j’ai parfois pensé que cela pouvait l’effrayer, à l’occasion d’une mobilité par exemple. Mais je m’adapte et m’investis plus si une phase d’apprentissage le nécessite. Récemment, mon nouveau responsable a souligné être surpris de mon degré d’engagement «malgré» mon temps partiel. Clairement, mener les deux activités de front nourrit ma motivation. Les collègues, eux, sont généralement très enthousiastes, tellement que parfois je reste même discrète sur cette deuxième activité. Pour certains, j’accomplis un rêve qu’eux aussi portent mais ils peuvent idéaliser la situation. Ils ne mesurent pas les efforts que cela demande, me croient parfois «en vacances à la campagne» et oublient que c’est un vrai choix qui fait aussi baisser la rémunération de mon CDI de 25 %.
A : Il est vrai que cette double activité est généralement perçue de manière très positive. Personnellement, j’ai la chance d’être autonome dans ma prise de rendez-vous en milieu bancaire et de m’organiser assez librement. Et tant que les résultats sont là, et ils le sont, il n’y a aucune remise en cause de mon statut de slasheur.
Et Dieu dans tout ça ?
C : Issue d’une famille laïque, mais dans un environnement catholique très marqué, en Bretagne, je ne suis pas pratiquante. Mais mon activité dans les champs m’a ramenée à une forte spiritualité et sur un chemin que je sens plus riche chaque jour.
A : Je suis très engagé dans l’Église : au sein de ma paroisse, en équipe d’animation locale, pour la préparation au mariage et pour la trésorerie ainsi qu’en mouvements : Équipe Notre-Dame et MCC. La proximité de la nature et le suivi de ses cycles nourrissent ma foi, j’apprends ainsi chaque jour à m’en remettre à Dieu.
Propos recueillis par Catherine Le Gall, comité de rédaction.